“Dieu habite Düsseldorf”, la comédie piquante de Sébastien Thiéry à Avignon
Renaud Danner et Eric Verdun mettent en scène et interprètent avec brio les sept sketches incisifs et sortis de nulle part qui composent la traversée dadaïste et désopilante de Sébastien Thiéry.
Un as en la matière qui n’a pas son pareil pour démasquer et se moquer avec la perfidie qu’on lui connait, de la folie d’une époque, toujours plus déréglée et désincarnée – dont les deux personnages, complètement inadaptés à la vie, en se confrontant jusqu’ à l’absurde à des situations ubuesques – en sont la pathétique et dérisoire incarnation.
Il en ressort une incapacité à être et à exister abyssale portée à son paroxysme où les tares véhiculées par les deux protagonistes sous la pression d’une société normée et contrôlée dont s’amuse à l’envi Sébastien Thiery à prendre le contre pied, sont tout aussi indépassables qu’impayables.
Le texte, sous forme de saynètes, nous amène à croiser un imbécile venu faire diagnostiquer son imbécillité par un médecin mais aussi un homme sans zizi désirant en acheter un, mécanique ou électrique, auprès d’un vendeur ô combien spécialisé. Ou encore un autre sans amis qui a poussé la porte d’une agence qui en propose virtuellement sur catalogue.
Il y a aussi un quadragénaire qui a fait empailler son père vivant et qui se réjouit de l’entendre parler grâce à un magnétophone qu’il lui a accroché au cou. Sans oublier ce comptable responsable d’innombrables faillites, banqueroutes, dépressions nerveuses et autres suicides.
La mascarade s’opère à partir de dialogues parfaitement ciselés entre un dominant et un dominé, un sachant et un ignorant, un naïf et un pétri de certitudes. De leur échange d’une grande simplicité tour à tour touchant et inquiétant, empreint d’une folie insondable, c’est tout un désespoir qui se fait jour avec plus ou moins de pudeur. Et toute une révolte – avortée, mais bien présente – contre un monde qui fabrique des handicapés de la vie, en somme des montres en puissance.
La scénographie clinique et ludique se révèle une aire de jeu parfaite pour dérouler le mécanisme d’expérimentation qui est à l’œuvre. A l’instar du laboratoire d’un savant fou ou du bureau aseptisé d’un contrôleur qualité. Un espace blanc donc, plastique, stérilisé, qui met en branle le processus de désincarnation mais qui traduit aussi l’expression d’une menace latente, mettant en lumière les imperfections des deux individus condamnés au rejet et dont les attentes dérisoires en sont encore plus cruellement pathétiques.
Une plongée en absurdie servie par deux pince-sans-rire littéralement maestros. Bravo !
Dates : du 7 au 30 juillet 2022 – Lieu : Théâtre des Barriques (Festival Off d’Avignon)
Metteurs en scène : Renaud Danner et Eric Verdun