« Le Roi Lear » dans l’aujourd’hui au Français et en direct au cinéma
Le Roi Lear, la pièce monstre de Shakespeare est aussi la plus emblématique de son répertoire, où la tragédie se dispute aux rivalités familiales exacerbées et aux enjeux de pouvoir. D’une puissance inouïe, elle nous entraîne, d’une voix incarnée par chacun des mots, au plus profond de l’expérience humaine et de ses errements.
Dans la version présentée et librement adaptée par Thomas Ostermeier, qui fait son entrée au répertoire de la Comédie-Française, après sa Nuit des Rois en 2019 (reprise au cinéma Pathé Live du 11 au 23 mai) aussi décapante que transgressive, le directeur de la Schaubühne de Berlin voit en Lear par delà la déliquescence du pouvoir, un conflit générationnel sur la transmission de l’héritage et son refus d’abandonner sa position et son influence.
Lear, tyran vieillissant, décide de partager son empire entre ses trois filles, à condition qu’elles lui déclarent l’amour qu’elles lui portent. Tandis que les aînées Goneril (Marina Hands) et Regan (Jennifer Decker) obtempèrent à des fins stratégiques, la benjamine Cordélia (Claïna Clavaron) refuse de se prêter au jeu qu’elle juge hypocrite. Une sincérité entraînant les foudres du monarque qui la déshérite et la renie aussitôt avant que les aînées décident de s’affranchir de son autorité et en abusent à leur tour car le pouvoir corrompt tout.
Une relecture actualisée
Rejeté par Regan et Goneril, qui avaient promis de l’accueillir avec sa suite, Lear s’enfonce dans une folle solitude. Mais son errance, dans la projection actualisée d’Ostermeier, ne renvoie pas à sa propre finitude car ici il ne meurt pas, mais à une cristallisation sur la permanence d’un pouvoir qui ne cède jamais et à son emprise mortifère au détriment d’une génération sacrifiée. Le tout sur fond de chaos politique, social et moral qui voit des clans et des drames intimes se disputer aux ambitions démesurées des protagonistes.
Une actualisation propice à des intermèdes comiques dans le pur esprit Shakespearien et à des clins d’œil en phase avec l’actualité comme notamment cette séquence astrologique hilarante d’Edmund à l’adresse du public, interprétée par Christophe Montenez au meilleur de son talent.
C’est dans un paysage de lande qui retient la nuit, enveloppé par la brume, dans une esthétique crépusculaire et symbolique aire de jeu, que s’inscrit et s’immortalise sans relâche l’épopée du roi maudit. Pour représenter le château de Lear et de ses filles, Ostermeier installe un simple cadre lumineux tandis que sur un écran vidéo se déploient les scènes de combat ou celle encore de la tempête. Comme pour La Nuit des rois, une passerelle relie la scène à l’orchestre où les acteurs s’adressent et prennent à partie le public à plusieurs reprises. Deux trompettistes donnent le la à la tragédie et à ses soubresauts.
Coté distribution, mention spéciale à Christophe Montenez (Edmund) qui campe un redoutable bâtard, véritable astre noir, prêt à éliminer un frère légitime Noam Morgensztern (Edgar), et à crever les yeux de son père, Eric Génovèse (Gloucester). Denis Podalydes est ce roi dépossédé au bord de la folie. Se montrant tour à tour puissant et fébrile, autoritaire et imprévisible, sénile et enfantin, il nous entraîne au plus près de l’âme humaine et de ses turpitudes. Les héritières filles de Lear, Regan (Jennifer Decker) et Goneril (Marina Hands) imposent avec éclat une stature intransigeante et machiavélique. Kent, le fidèle conseiller du roi, est ici joué par une femme, Sephora Pondi, à la présence terrestre et incarnée. Enfin, Stéphane Varupenne est ce fou du roi, ironique et chantant, tout droit sorti de l’univers shakespearien. Bravo !
Dates : Jusqu’au 24 février 2023 – Lieu : Comédie-Française (Paris)
Du 26 février au 7 mars 2023 https://www.lacomediefrancaiseaucinema.com
Mise en scène : Thomas Ostermeier