« Le Silence » et son écho au Vieux-Colombier
« Dans l’économie de paroles, un autre rapport à la vérité se dévoile » écrivent Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix, les auteurs de ce spectacle radical et habité. Un drame sans dialogue donc, inspiré du cinéma d’Antonioni et dans lequel le spectateur, plus disponible que jamais, compose la narration.
Car le spectateur est dans la position d’un enquêteur dont le parcours est jalonné par des moments-clés, où c’est à lui d’agencer à sa guise et selon son propre ressenti, les pièces d’un puzzle dont le dessin se précise peu à peu tout au long de la représentation.
Il ne s’agit pas ici de l’adaptation d’un scénario mais d’une création inspirée de la vision artistique du cinéaste avec ses thèmes de prédilection tels que le manque d’amour, la disparition, la recherche de la vérité, le temps qui passe et de sa dimension plastique qui travaille sur le monologue intérieur.
Le plateau, en bifrontal, sépare le public en deux. Vision panoramique sur un appartement bourgeois, bohème, et en désordre : siège confident, piles de 33-tours, bibliothèque, buffet, table en faux marbre, photos sous cadre, livres (La Révolution copernicienne, La Fabrique des rêves), des post-it sur une glace, ou encore une bouteille de whisky. Dans un coin, des cartons emballés et en surplomb au dessus du mobilier, un écran vidéo. Et puis un chien qui déambule dans ce décor en mouvement et immobile, du dedans et du dehors.
Des sensations à l’introspection
Une scénographie (Anouk Maugein) narrative aux couleurs chaudes et sous les musiques enflammées de Lucas Lelievre. Un couple de parents (Marina Hands et Noam Morgensztern) est là, porteur d’une douleur immense.
Sur scène, le couple mutique est rejoint par deux proches, Julie Sicard et Stéphane Varupenne, ainsi qu’un personnage mystérieux (une mémoire) Baptiste Chabauty, qui reçoit impassiblement tous les affects.
D’entrée un climat s’impose et s’empare des personnages avec une essence singulière et une acuité particulière où l’on découvrira peu à peu la raison de ce chaos intérieur au travers des objets, des sons et des images projetées.
Un tempo porté par des résonnances multiples aux prises avec la perte, l’attente, l’absence ou le désir de couples qui se font et se défont.
Dans ce théâtre introspectif et de l’intime au bord du vide, les acteurs sont saisissants. D’un insaisissable mystère, Marina Hands capte la scène d’un jeu d’une infinie précision aux maintes variations où elle donne tout. Entre emportement, abattement, pleurs, ressaisissement, jusqu’à cette scène mémorable où elle livre une danse tribale aussi introspective qu’exutoire.
Ses allées et venues, à la manière de formules incantatoires, créent un rythme lancinant et instaure une ambiance lourde où le malaise du couple se fait asphyxiant.
Une détresse envahit l’espace où la mise en scène incarnée de Lorraine de Sagazan cristallise au plus près ce huis clos et le temps qui se suspend, se tend et s’anéantit, là où la condition d’être se débat entre l’ici et l’ailleurs, la rage et le renoncement, la force et la brisure. Bravo !
Dates : du 31 janvier au 10 février 2024 – Lieu : Comédie-Française – Vieux- Colombier (Paris)
Mise en scène : Lorraine de Sagazan