Notre Odyssée II : l’épopée homérique de Christiane Jatahy
Ulysse erre durant dix ans avant de rentrer chez lui après la guerre de Troie. Pénélope, sa femme, défend les terres d’Ithaque contre les envahisseurs. Télémaque, leur fils, part à la recherche de son père.
Et comment ces récits vieux de trois mille ans se raccrochent-ils aux flux contemporains de gens qui traversent des frontières à la recherche d’un foyer ou d’une terre d’asile ?
La metteure en scène brésilienne Christiane Jatahy retrouve de « L’Odyssée » pour nous raconter le monde ici et maintenant.
Entre théâtre et cinéma et partage avec le public, son œuvre singulière s’impose désormais comme un espace manifeste de réinvention. Un nouveau langage qui expérimente les frontières entre le passé et le présent, entre le réel et la fiction, entre l’espace scénique et sa projection, et convoque différents angles : des images et l’instant théâtral pour une immersion totale et sensible.
Dans « Le Présent qui déborde, notre Odyssée II », Christiane Jatahy poursuit donc son décryptage des mythes homériques entamée, en « Odyssée I », par une confrontation entre Pénélope et Ulysse. Les spectateurs changeant de lieu à l’entracte découvraient alternativement Pénélope aux prises avec des prétendants avides de pouvoir ou Ulysse aux prises avec les charmes de Circé. A la fin, la mer envahissait l’espace et reliait les deux îles.
A l’acte II de cette Odyssée, « Le présent qui déborde », ce n’est plus le monde qui fait irruption dans la fiction homérique, ce sont les référents homériques, Ulysse, rebaptisé « Odysseus » et Pénélope, qui servent de fils conducteurs à une histoire du monde actuel vu du point de vue de tous les exilés, réfugiés, victimes de guerres.
Une épopée humaine
Le matériau de départ est un film qui a été tourné dans cinq lieux à travers le monde. Des lieux de transit, des camps de réfugiés – en Palestine, au Liban, en Grèce, en Afrique du Sud et enfin en Amazonie. Et ce sont des gens de théâtre qui ont dû fuir leur pays qui jouent et la situation actuelle et l’épisode homérique correspondant : Cyclope, Circé, Hadès aux portes de l’enfer et Jatahy elle-même joue son histoire familiale en Amazonie.
Le spectacle débute comme une projection de cinéma où sur grand écran, des hommes et des femmes se sont appropriés le « je » d’Ulysse. Isolés ou en communauté à l’occasion d’évènements festifs, ils racontent l’histoire d’Ulysse où à travers le prisme de la fiction, ils mettent à distance leur propre histoire en utilisant les métaphores induites par le texte, tout en exprimant ce qu’ils éprouvent.
Et ce sont alors de véritables odyssées qui nous sont retracées avec ces réfugiés qui ont dû quitter leur pays pour tenter de reconstruire un sentiment d’appartenance, ailleurs. Même si c’est toujours le sentiment de l’entre-deux qui subsiste, vécu comme un lieu avec des frontières de part en part, où le passé est devenu inaccessible et le futur inatteignable. Des individus bloqués dans un présent si omniprésent qu’il en déborde.
Mais petit à petit le théâtre surgit, dans la salle, sur la scène ; des acteurs interagissent avec les images projetées. Comme si le théâtre venait compléter le film tandis que le film, lui, laisse entrer le théâtre et répond à ce qui se passe dans la salle. Le théâtre revêt ainsi la fonction du chœur dans la tragédie grecque, qui commente et fait avancer l’action.
Un dispositif interactif qui permet aussi de pointer la frontière imperméable entre ceux qui habitent l’écran de cinéma et ceux qui sont la salle de théâtre, et essayer de la briser.
Une temporalité propre à la dramaturge qui fait donc naître un dialogue incessant entre le théâtre et le cinéma, le passé et le présent, la réalité et la fiction, l’ici et l’ailleurs, le politique et l’actualité.
Une Odyssée à laquelle prend aussi part Christiane Jatahy qui comme Ulysse, la conduit à visiter le royaume des morts. Et à rencontrer les Indiens d’Amazonie, plus que jamais menacés par les dérives du pouvoir de Bolsorano au Brésil, où dans cette forêt son grand-père a été porté disparu dans un accident d’avion.
Dates : du 1 au 17 novembre 2019 – Lieu : Centquatre (Paris)
Metteur en scène : Christiane Jatahy