« Rohtko », le théâtre augmenté de Łukasz Twarkowski à l’Odéon – Ateliers Berthier
C’est à partir d’une réflexion autour de la valeur de l’art – financière et/ou esthétique – et de la distinction entre original et copie (qui dépasse le seul artiste Rothko) que s’articule le spectacle imaginé par Łukas Twarkowski, qui a longtemps travaillé aux côtés de Krystian Lupa comme assistant metteur en scène ou collaborateur artistique sur « Salle d’attente » ou « Perturbation ».
Depuis une dizaine d’années, il signe en Pologne et dans les pays baltes des productions de théâtre total particulièrement spectaculaires et ambitieuses, mais c’est la première fois que son travail est présenté en France.
Rohtko (avec une faute d’orthographe volontaire !), créé en Lettonie avec des acteurs lettons, polonais et chinois, s’inspire à la fois de la vie du grand peintre américain Mark Rothko et d’un incroyable scandale de contrefaçon qui a bouleversé le monde de l’art il y a une douzaine d’années avant d’en arriver aux récentes formes d’art digital et de « crypto-art ».
Une mise en scène spectaculaire et percutante
En 2004, un tableau de Mark Rothko, « Untitled », 1956, est vendu par une célèbre galerie d’art new-yorkaise à un couple de collectionneurs pour plus de huit millions de dollars. Sept ans plus tard, on découvre qu’il s’agit d’un faux – un Rohtko. C’est Pei-Shen Qian, un artiste chinois devenu professeur de maths dans le Queens, qui l’a peint dans son garage, avec quelques autres Pollock et De Kooning.
Un tableau falsifié peut-il encore nous émouvoir ? Quelle est l’importance des originaux à l’heure des NFT et des blockchains ? Qui décide de la valeur d’une œuvre d’art ? À quel point un artiste est-il libre ? Qu’est-ce que l’art, en fin de compte ? Quelle est l’importance de l’art – quelle est l’importance de la vie elle-même – maintenant que les réalités virtuelles existent ?
Sans oublier le concept chinois de shanzai qui sert aussi de fil rouge à l’intrigue et consistant à nier la division traditionnelle entre copie et original, marquant une différence capitale avec l’Occident.
Ce sont toutes ces questions qui traversent ce spectacle de quatre heures dans une mise en scène spectaculaire et percutante. Car ici ce ne sont pas les dialogues qui importent mais les images et leur illusion sensorielle, confusionnelle.
A l’abri d’effets visuels, cinématographiques et sonores foisonnants et/ou tonitruants qui superposent la temporalité et les lieux d’action, démultiplient les points de vue, le dispositif scénique embarqué et impressionnant brouille les frontières entre le réel et la fiction, faisant écho à la relation trouble qui se joue entre l’original et le faux (sa confusion) et sa nouvelle représentation dans un environnement virtuel et ultra-capitaliste.
Emmené par une distribution de haut vol, chacun des comédiens dessine sa partition et interagit entre le kaléidoscope augmenté, déroulé sur scène, de l’art physique et virtuel, ou l’art dupliqué. Bravo !
Dates : du 31 janvier au 9 février 2024 – Lieu : Ateliers Berthier (Paris 17ème)
Metteur en scène : Łukas Twarkowski