« Showgirl » : l’envers du décor au théâtre de la Bastille
En 1995, le cinéaste néerlandais, Paul Verhoeven, filme les grandeurs et décadences de Las Vegas comme la métaphore prémonitoire d’une Amérique qui s’enivre de vulgarité crasse et broie les êtres. Le film, incandescent et obscène, regarde sans commentaire le destin d’une jeune femme venue tenter sa chance dans la ville du jeu et de l’argent facile. Elle accepte toutes les humiliations et deviendra elle-même prédatrice, prête à tout pour survivre.
Très mal reçu par la critique et le public à sa sortie, il est aujourd’hui reconnu comme un monument de la contre-culture queer, du camp et de l’expressionnisme pop, un film culte dans lequel légèreté, strass, paillettes décrivent la lutte des classes et des sexes et les rapports de domination-soumission.
En montrant de façon frontale et criarde le versant le plus abject du « rêve américain », Paul Verhoeven jetait un pavé dans la mare hollywoodienne dont la première victime fût Elisabeth Berkley, courageuse interprète d’un d’un film qui devait mettre en péril la suite de sa carrière.
C’est ce double mouvement que saisissent Marlène Saldana et Jonathan Drillet dans ce show aussi improbable et qu’explosif, où le scénario d’un film et le trajet d’une actrice se répondent en une triste et implacable ironie.
Une performance de haut vol
Quasiment seule en scène, Marlène Saldana est à la fois Nomi, Elizabeth et elle-même, traversée par les voix des autres personnages. En prêtant sa plastique et son tempérament à tous les personnages de « Showgirls » – le film maudit donc de Verhoeven dont « Showgirl » au singulier reprend ici la trame –, la comédienne et performeuse trouve là un programme à sa démesure !
Elle s’imprègne dans un geste total de cet univers glauque pour raconter et aussi dénoncer l’envers du décor, corrompu par le pouvoir de l’argent, du machisme et du sexe, où à travers des intermèdes et redevenue elle-même, elle échange avec « Murray », son complice frêle silhouette de machiniste drag-queen, et commente alors sans filtre certaines scènes de sexe humiliantes de l’histoire du cinéma.
A l’abri d’un décor kitsch et trash conçu par l’inimitable Sophie Perez, constitué d’un luminaire phallus qui brille de mille feux et d’un volcan-mamelon tout droit sorti de l’univers de Beckett, Marlène Saldana s’impose et en jette sur une bande-son électro-techno de Rebeka Warrior. Et nous livre une performance de haut vol entre le drag, le théâtre chanté et la danse parlée.
L’embardée est ponctuée d’incises presque documentaires et bien senties qui focalisent la cruelle condition d’actrice avec la révélation d’anecdotes entendues sur le tournage du film où empruntées à d’autres filmographies. Il y est notamment question de l’humiliation infligée par Bertolucci et Marlon Brando à Maria Schneider sur le tournage du Dernier Tango à Paris.
Un spectacle décapant, souvent drôle, et corrosif dont l’extravagance parfaitement assumée n’a d’égal que sa force réjouissante. Bravo !
Dates : du 26 février au 9 mars 2024 – Lieu : Théâtre de la Bastille (Paris)
Conception et texte : Jonathan Drillet et Marlène Saldana
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