
Un triptyque chorégraphique à la vitalité contagieuse par l’Opéra Ballet Vlaanderen
L’Opera Ballet Vlaanderen déploie avec cet opus un programme ambitieux qui tisse un dialogue entre trois générations de chorégraphes, convoquant ainsi Trisha Brown, Anne Teresa De Keersmaeker et Jan Martens dans une même énergie de vitalité et de rupture. La soirée s’impose comme un manifeste pour la danse contemporaine, où le langage des corps devient à la fois un instrument d’émancipation et de sublimation des codes.
Trisha Brown ou l’art de défier l’apesanteur
Avec « Twelve Ton Rose », la pionnière américaine confirme son art de l’abstraction dansée. Les interprètes, guidés par la musique dodécaphonique d’Anton Webern, composent une géométrie mouvante où chaque geste semble naître d’une nécessité organique et résonner avec une musicalité propre.
Les mouvements fluides, hérités de sa recherche sur la release technique, créent une illusion de légèreté aérienne qui masque une rigueur mathématique – un équilibre typiquement brownien entre liberté et contrainte. Loin de toute démonstration, les danseurs virtuoses font entendre la voix intérieure de la pièce, habités par cette capacité à interpréter l’abstraction sans jamais la dessécher. Du grand art.
Anne Teresa De Keersmaeker et le mantra du minimalisme
« Fase », pièce culte de 1982, révèle toute sa puissance hypnotique dans cette reprise. Les danseuses du Ballet de Flandre s’emparent de cette partition fondatrice avec une rigueur géométrique qui ne cède jamais à la froideur.
Les corps, soumis au principe du décalage de phase cher à Steve Reich, se frôlent, s’éloignent, se retrouvent, tissant un miroitement de formes qui ne cesse de se réinventer.
Ici, chaque infime variation devient événement, chaque glissement de synchronie, une révélation. La précision des interprètes, leur endurance, leur capacité à rendre palpable la tension entre répétition et mutation, est un spectacle total.
Jan Martens, héritier iconoclaste
Jan Martens avec son regard actuel se joue du mouvement et du concept. « On Speed » est un tour de force physique où le clavecin de Stephen Montague propulse le danseur dans une frénésie maîtrisée.
David Ledger, dans un clair-obscur presque inquiétant, offre une performance où la tension du torse, les secousses du corps, semblent traduire une lutte intérieure, une urgence frénétique.
Dans « Graciela Quintet », la pureté des lignes, l’exigence rythmique, témoignent de cette volonté de relier la danse à la musique la plus actuelle, tout en maintenant un dialogue constant avec l’histoire du geste.
Entre abstraction pure et narration suggérée, ce programme impose une certaine idée de la danse comme laboratoire des possibles. Loin des effets faciles, les trois chorégraphes nous offrent une expérience sensorielle exigeante, où chaque pas interroge notre rapport au temps, à l’espace et à la mémoire créative.
Un pari réussi qui confirme la vitalité du Ballet Vlaanderen comme creuset inventif de la danse européenne.
Dates : du 24 au 26 avril 2025 – Lieu : La Villette (Paris)
Chorégraphes : Trisha Brown – Anne Teresa De Keersmaeker – Jan Martens