« Biographie : Un jeu » : un destin recomposé à revoir sur France 4 à 21h00, le 08 septembre 2024
Bernard Kürmann a la chance, ou le fardeau, de pouvoir rejouer sa vie : fautes, joies et peines… Au cœur de ce fatras, il croit distinguer le nœud de son malheur dans la rencontre qui l’attacha à une femme, sa femme, Antoinette, et s’emploie à en conjurer l’événement.
Comment ne pas la rencontrer ? Comment ne pas l’aimer ? Comment ne pas en mourir ? Dès lors, il va rejouer les scènes de sa vie, pour tenter d’en déjouer le cours et la chute, sous l’égide d’un troisième personnage, ordonnateur/metteur en scène intempestif de ce vertige biographique…
Voici donc posée la règle de ce jeu écrit par Max Frisch qui traque l’idée moderne du destin : réécrire sa biographie avec la possibilité de choisir à chaque instant entre plusieurs solutions. Mais, au moment où cela se produit, un évènement en exclut d’autres.
Alors on rembobine, on remonte loin, très loin, jusqu’à ses 13 ans. Et puis les années passent, à chacune son évènement. Bernard changera-t-il le destin de ce petit camarade turbulent à qui il a amoché l’œil ? Choisira-t-il une autre destination pour son séjour Erasmus que Berkeley, Californie ? Décidera-t-il de se marier avec Brigitte, qu’il n’aime pas et se l’avoue, mais décide d’affectionner quand même ? Et maintenant qu’il a finalement rencontré à nouveau Antoinette, saura-t-il la laisser partir avant qu’ils se réduisent…
Mais jouer avec sa biographie s’avère un jeu dangereux. On réalise à priori qu’on ne peut pas échapper à soi-même et on a beau vouloir tout réécrire, on reste enliser dans ses contradictions et aux prises avec son caractère duquel on se peut se séparer.
Un vertige Pirandellien
La pièce met en abime cette course folle, plus ou moins consciente, que nous menons à l’intérieur de notre propre vie, entre notre passé, nos espoirs, le temps qui passe et la brutalité du réel qui nous assaille. Et scrute sans relâche notre désarroi intime, toujours en embuscade, quand, irréconciliables avec nous-mêmes, nous nous confrontons à ce que nous ne serons pas.
Exploration à ciel ouvert donc des possibilités d’une vie, d’une île. Faire, défaire, refaire, c’est le mystère de la répétition et son saut dans le vide qui à chaque fois rabat les cartes, déplace un pion ici, puis un pion là, jusqu’à tenter de s’approcher d’une fin de partie qui mettrait un terme à sa frustration et comblerait enfin son insatiable insatisfaction.
A l’abri d’une mise en scène fluide et dans un geste cinématographique de Frédéric Bélier-Garcia, s’orchestre finement et habilement ce tragique ou ce comique de répétition, aux lignes de fuite labyrinthiques et étourdissantes, que la scénographie mouvante d’Alban Ho Van accompagne de concert à travers le dédale d’un appartement à géométrie variable.
Le couple Isabelle Carré / José Garcia fonctionne bien. A la fois détachée et affranchie Isabelle Carré irradie la scène d’une justesse parfaite. Face à elle, José Garcia est cet homme à vif, retranché dans ses certitudes se débattant comme un diable avec son envie d’en découdre et une résistance intérieure qui l’en empêche. Quant à Jérôme Kircher, il incarne ce meneur de jeu aussi intriguant que mystérieux.
Date : 08 septembre 2024 sur France 4 à 21h00
Mise en scène : Frédéric Bélier-Garcia