Disparition d’Agnès Berthon, figure emblématique et singulière de l’œuvre de Joël Pommerat
Née à Alger le 23 juin 1959, jumelle de Florence, rapatriée sans souvenir mais avec la mémoire d’un exil fondateur, Agnès Berthon a grandi entre massif central et méditerranée, rock anglais et adolescence électrique.
Très tôt, elle pose ses pas entre musique et théâtre, pigiste à Londres pour Rock & Stock, apprentie comédienne à Paris, militante du collectif avec Christian Benedetti. Sa vie sera faite de passages, de rencontres : Miossec à Brest, Dominique Sonic à Rennes, puis un soir de 1997, Joël Pommerat. Elle avait lu son portrait, elle avait su : ce serait lui.
Dès Treize étroites têtes, elle entre dans le cercle et n’en sortira plus. Dix-sept créations, de « Au Monde » à « Ça ira (1) Fin de Louis », jusqu’à la reprise récente de « La Réunification des deux Corées ».
Actrice de l’ombre et de la lumière, elle n’ornait pas le plateau, elle le hantait. Présence androgyne, voix aérienne, puissance muette : son art consistait à accueillir, à se laisser traverser. Incarnée et désincarnée à la fois, elle portait ce réalisme magique qui fit la signature Pommerat.
Dans son théâtre, Agnès devient figure, spectre, souffle. Elle est présence et absence, réalité et hallucination. Androgyne, entité « venue d’ailleurs », elle prête à Pommerat la part de rêve et de trouble que son théâtre appelle.
On se souvient d’elle dans « Ça ira (1) Fin de Louis », grotesque et tragique à la fois. On se rappelle d’elle encore dans « La Réunification des deux Corées », en Bowie satiné, voix-tube inventée, hantant l’espace entre les scènes, séduction tragique et suspension hypnotique pour une voix de velours hors du temps.
Son art était celui de l’accueil : accueillir les hasards, les signes, les déplacements. Ne rien chercher, mais tout laisser advenir. Une actrice désincarnée et pourtant ancrée, artisanale et pourtant visionnaire. Camarade de troupe parfaite, fédératrice, généreuse, mais aussi avide de solitude et de silence.
Elle apparaissait aussi au cinéma, toujours aux lisières — Bertrand Mandico, Arnaud des Pallières, bientôt Caroline Deruas à Venise. Elle préparait encore des projets, comme si l’élan ne devait jamais cesser.
Sa vie fut tissée de rencontres, d’écoutes, d’accidents. Marquée par la mort brutale de sa mère dans son enfance, elle avait appris à vivre chaque instant comme une rareté. Sa gémellité avec Florence fondait ce rapport particulier à l’existence, cette conscience aiguë de l’éphémère.
Agnès Berthon avait ce don : rendre habitable l’étrangeté du monde. Elle savait que tout est fragile et précieux, et le disait avec son corps, sa voix, ses silences.
Le 17 août 2025, la voix s’est tue à Narbonne. Mais son souffle reste : il habite encore les mots de Pommerat, il hante ce théâtre d’ombre et de lumière.

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