Soy Cuba, film mythique de Mikhail Kalatozov
Film mythique de l’histoire du cinéma, Soy Cuba est aussi difficile à trouver que le fut le premier film de Kubrick Fear and Desire pendant 50 ans. Tourné en 1963, il est mal accueilli à sa sortie, tombé dans l’oubli et redécouvert en 1992. Le parrainage enthousiaste de Martin Scorsese et Francis Ford Coppola contribue à promouvoir sa diffusion et à le faire connaitre. Mais pourquoi tant d’engouement pour un film soviético-cubain de 1964 en noir et blanc sans presqu’aucun dialogue ? Les raisons de s’extasier ne manquent pas et constituent un vrai bonheur de cinéma.
Les cinéphiles le savent bien, feu le cinéma soviétique est une mine d’or de films révolutionnaires et de réalisateurs légendaires. Le cuirassé Potemkine par Serguei Eisenstein, les films d’Andrei Tarkovski et donc Mikail Kalatozov. Peu se souviennent que Kalatozov obtint la Palme d’Or au festival de Cannes en 1958 pour Quand passent les cigognes. Auréolé de sa prestigieuse récompense, il s’attaque à un sujet de la plus chaude actualité et veut raconter la révolution castriste, la fuite du dictateur corrompu Fulgencio Batista et l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro. Les liens entre Cuba et l’URSS sont teintés de communisme hardcore et de lutte commune contre l’impérialisme yankee. Kalatozov imagine une fresque à la gloire du leader cubain mais de nombreuses difficultés techniques et scénaristiques le font vite déchanter. Il revoit ses ambitions à la baisse et élabore son film sur des visions de la vie quotidienne cubaine.
[L]es scènes clés s’enchainent comme autant des prouesses techniques ininterrompues.
Soy Cuba regroupe 4 histoires distinctes, chacune symbolique des changements qu’ont connu le pays en 1959. Le premier épisode se situe aux derniers temps de l’époque de Batista. Les nuits cubaines voient les riches occidentaux abuser de l’ambiance chaude et festive de l’ile au détriment des locaux impuissants. Le second épisode voit un paysan laborieux, heureux de sa récolte de canne à sucre, exproprié sans vergogne par une firme américaine. Le troisième épisode suit un étudiant castriste s’aveugler dans la radicalité de la voie révolutionnaire. Le dernier épisode a pour héros un paysan d’abord réticent à l’engagement armé rejoindre la lutte suite au bombardement de sa maison, jusqu’à la victoire finale. Les 4 histoires particulières sont autant métaphoriques que limpides sur l’état d’exaspération d’une île livrée aux inégalités au profit d’une minorité. Loin de la grande fresque prévue initialement, dédiée à la révolution cubaine avec Castro et Che Guevara en guest stars, Kalatozov s’intéresse à l’humain, ses souffrances et ses espoirs.
Si je devais un jour tourner un film, j’aimerais qu’il ressemble à Soy Cuba. Des majestueux plans séquences font la légende du film. La caméra virevolte de longues minutes autour de scènes à l’impact démultiplié grâce à l’art prodigieux du chef opérateur. Et le rendu est rien de moins qu’impressionnant. Scène d’émeute à La Havane, paysan qui brule sa maison en signe de désespérance, riches occidentaux qui ripaillent dans des hôtels somptueux, funérailles populaires grandioses, les scènes clés s’enchainent comme autant des prouesses techniques ininterrompues. Sans effets spéciaux du 21e siècle ni gadgets technologiques. On se demande par quelle magie Kalatozov réussit à tourner ses scènes majestueuses en décor naturel. Les travellings sont fluides et spectaculaires, comme cette caméra qui passe du toit de l’hôtel aux eaux de la piscine en un long mouvement continu. Je n’ai jamais vu aucune autre image similaire dans un autre film. Bien que d’une durée de 2h20, le film passe dans un souffle, laissant le spectateur éberlué devant tant de scènes somptueuses. Kalatozov semble s’affranchir des lois de la pesanteur et se mouvoir comme un oiseau dans le ciel. Et comme le film s’affranchit également des conventions scénaristiques habituelles, Soy Cuba devient un OVNI cinématographique.
[Une] oeuvre monumentale aux yeux des cinéphiles du monde entier.
Baigné dans un noir et blanc lumineux et onirique, Soy Cuba brille de mille feux dans une lumière surnaturelle. Ce soleil qui resplendirait dans un film couleur est omniprésent dans ce noir et blanc tropical. Ajouté à la musique cubaine enfiévrée, l’ambiance est à la moiteur et les notes remplacent les mots. « Soy Cuba » est répété par une voix de femme à l’ouverture de chaque épisode, comme un mantra symbolisant la vigueur des habitants de l’île. Quasi film muet, Soy Cuba laisse la parole aux regards et aux actes. L’acte révolutionnaire est tragique, fruit des vexations et de la longue histoire colonialiste de l’île. Depuis l’arrivée des américains à la fin du 19e siècle pour chasser l’occupant espagnol, les rêves de liberté n’ont cessé d’être bafoués. La BD Une histoire populaire de l’empire américain d’Howard Zinn dépeint cette main tendue par l’Oncle Sam pour évacuer l’occupant avant que de ne le remplacer manu militari. Batista n’est qu’un pantin aux mains des impérialistes pillant les ressources de l’île. Kalatozov célèbre la nature impétueuse des cubains, comme un hommage de l’URSS à son allié cubain.
Une fois le film terminé, une seule envie étreint le spectateur : regarder à nouveau Soy Cuba et ressentir une nouvelle fois l’émotion esthétique de ces scènes aux frontières du réel. Soy Cuba devrait être projeté dans tous les cinémas pour exposer cette oeuvre monumentale aux yeux des cinéphiles du monde entier. Un vrai choc que ce film. De ceux qui éclaircissent l’horizon et ravissent l’imagination.
A travers quatre histoires qui renforcent l’idéal communiste face à la mainmise du capitalisme, Soy Cuba dépeint la lente évolution de Cuba du régime de Batista jusqu’à la révolution castriste.
Pedro travaille dans les champs de cannes à sucre. Au moment d’une récolte qui s’annonce fructueuse, le propriétaire des terres lui annonce que sa maison et des terres ont été vendues à une société américaine…
A l’université de La Havane, Enrique fait partie d’un jeune groupe d’opposants au régime de Batista. Il s’apprête à assassiner un policier, mais au moment fatidique, le courage lui fait défaut…
Dans la Sierra Maestra, Mario et sa famille vivent pauvrement. Après avoir accueilli un jeune soldat luttant aux côtés de Castro, Mario et sa famille sont bombardés sans raison apparente par les forces aériennes de Batista…
Dernière sortie : le 16 juillet 2003
Durée : 2h20
Réalisateur : Mikhail Kalatozov
Avec : Luz Maria Collazo, José Gallardo, Raul Garcia (3)
Genre : Drame