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Amaury Jacquet

Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.

A Bastille, « La Force du destin » ou l’opéra verdien par excellence

La Force du destin est un des très rares opéras de Verdi dont le titre ne se réfère pas à l’un des personnages. Car le seul acteur de l’œuvre est le destin lui-même : un astre noir qui attire chacun des protagonistes sur des voies contraires, sans lutte possible, les broyant irrémédiablement.

Isabelle Huppert, fascinante dans « La Ménagerie de verre »

Tennessee Williams braque ici son projecteur sur des destins brisés. Il écrit non seulement sur la mémoire mais aussi sur la fragilité. Car les Wingfield sont pleins de doutes, de cicatrices, de secrets. Chacun des trois se retire dans son propre monde. Trois solitudes à jamais enfermées dans leurs obsessions et trois destins réunis dans leur inaptitude à la vie. Où Tom cherche à s’échapper. Il passe son temps à fuir, mais il fini toujours par revenir. Et se tient toujours un peu à la frontière entre deux mondes, l’intérieur et l’extérieur. Ce texte terriblement émouvant de l’auteur du Tramway nommé désir décrit une situation à la fois universelle (la dynamique d’une famille dysfonctionnelle) et ancrée dans l’histoire : l’Amérique de la grande dépression avec son contexte de crise qui reste d’actualité, lequel apparaît en filigrane alimentant le pessimisme des personnages et les conflits qui les opposent.

La Mouette d’après Anton Tchekhov sous le regard percutant de Cyril Teste, en tournée

La Mouette, classique du répertoire russe, est aujourd’hui revisitée par Cyril Teste et son collectif MxM. On retrouve ici le dispositif cinématographique cher au fondateur du collectif : les acteurs sur scène et/ou en coulisses sont filmés en plan séquence. La vidéo projetée en direct sur grand écran vient augmenter l’espace imaginaire du plateau et raconter le hors-champ théâtral. Un procédé nullement artificiel mais qui fait partie intégrante de la dramaturgie, cristallisant l’envers du miroir entre espace réel et projection/fiction et son exploration introspective et mémorielle.

Gaspard Proust, Jean-Luc Moreau et Brigitte Catillon : une famille en or ! au Théâtre Antoine

Sébastien Thiéry, comédien, est aussi auteur de pièces de théâtre où son écriture portée plutôt vers l’absurde et affranchie de toute morale, cohabite avec la comédie de boulevard, n’hésitant pas à déstabiliser le spectateur. On se souvient de sa comédie noire et hilarante "L’origine du monde", montée au Théâtre du Rond-Point en 2013, dans une mise en scène de Jean-Michel Ribes, où s’imaginant condamné à mourir, il devait dans un défi aussi improbable que psychanalytique pour éviter la mort annoncée, prendre une photo du sexe de sa mère jouée par Isabelle Sandoyan ! Aujourd’hui, c’est à une crise d’ado attardé (Gaspard Proust) aussi kafkaïenne que loufoque que nous convie Sébastien Thiéry. Face à lui, un couple de parents abasourdis (Jean-Luc Moreau et Brigitte Catillon), déstabilisés dans leur petit confort bourgeois, et qui doivent faire face à l’amnésie aussi brutale que perverse de leur rejeton.

Une filiation en héritage sous le regard enlevé d’Igor Mendjisky

gor Mendjisky refait le film et revient sur les traces de son père. Entre fiction et réalité, la quête de soi passe par le deuil et une incontournable renaissance. Une réussite. Pour créer cette fiction, le metteur en scène et comédien s’est inspiré librement de son histoire personnelle et de celle de son père, artiste peintre et escroc bonimenteur dont la démesure, la guerre et la résistance ont forgé un art de vivre. La mort du père fait alors éclater le trouble du mensonge à l’intérieur d’une famille, le trouble ressenti par chacun des enfants à travers ce père fantasque et flamboyant. Comment faire avec cet héritage matériel et immatériel ? En trois parties empreintes d’un souffle poétique et baroque indéniable, dans une forme aussi singulière qu’impétueuse, un fils affronte la part d’ombre de cette filiation, là où le lien filial indépassable tente de transcender la trahison.

Catherine Hiegel, actrice absolue, dans Music-hall de Jean-Luc Lagarce

La vie d’artiste n’est pas toujours un long fleuve tranquille. La preuve avec la pièce de Jean-Luc Lagarce "Music"hall" et cette actrice sur le retour (épatante Catherine Hiegel) qui se raconte, tout de noir vêtue et paupière pailletée, devant un rideau rouge, possible linceul étoilé et trace ultime d’une splendeur passée. Entourée de deux partenaires tout droit sortis d’une autre planète, elle se produit encore mais dans des lieux perdus et des conditions toujours plus hasardeuses. Au premier plan son tabouret indispensable qui la suit partout et sur lequel elle prend la pose, râle et décortique dans une syntaxe approximative et une gourmandise malicieuse, à l’abri d’un texte qui se joue à l’envi de la langue sur un ton sarcastique, les instants sordides de ce que fut son quotidien en tournée, et sa manière de surmonter désenchantements, humiliations et désespoirs.

José Montalvo : la danse est une fête, olé !

José Montalvo est de ceux qui pensent que bal et ballet ont une même origine sémantique et que la frontière entre le populaire et le savant est parfaitement poreuse. Il n’est pas le premier à casser ce cloisonnement : Mozart et Chaplin l’ont fait avant lui. Tous les grands créateurs s’inspirent des mouvements populaires et Montalvo n’échappe pas à cette assertion. Le danseur chorégraphe a inventé son propre langage, ludique et joyeux, tissant des liens entre la danse, des univers différents, et des images vidéo fantasques dont le mixage sont des plaidoyers pour une esthétique et une éthique métisses.

« L’Autre Fille » d’Annie Ernaux, seul en scène intense et percutant

Elle était plus gentille que celle-là." Celle-là c'est elle, Annie Ernaux, lauréate du Prix Nobel de littérature 2022. Des mots surpris de la bouche de sa mère l'été de ses 10 ans. Des mots comme des gifles quand on se croit unique et adorée. Par ces paroles, Annie Ernaux est ainsi qualifiée de moins sainte, moins gentille, inexistante à jamais puisque remplaçante. On ne lutte pas contre une morte, encore moins contre une sainte. Sans doute est-ce pour cette raison que l'écrivaine n'a jamais osé parler de sa sœur à ses parents : "J'espérais peut-être qu'à la faveur de ce silence ils finiraient par t'oublier." Comme dans ”Les Années”, elle utilise de vieilles photographies, cailloux blancs sur le chemin de son passé, pour reconstruire le mécano de son enfance et comprendre comment cette sœur, dont les parents n'ont jamais parlé, n'a eu de cesse d'occuper à côté d'elle une place toujours vide. Elle nous raconte comment ce double invisible l'a, en fait, comme dépossédée de son identité, en s'inscrivant en reflet permanent et inaccessible de sa propre vie.

Notre Sélection

« I will survive » : rire nerveux et malaise garanti

Avec I Will Survive, Les Chiens de Navarre rappellent une vérité simple : quand la réalité devient trop absurde pour être racontée, il ne reste plus qu’à l’exagérer pour qu’elle redevienne audible. Jean-Christophe Meurisse l’a bien compris : l’outrance n’est pas une facilité, mais un outil — une loupe déformante pour mieux scruter les recoins les plus gênants de la société française. Et c’est justement parce qu’il observe si finement qu’il grossit si fort.

Une École de danse d’une troublante modernité à la Comédie-Française

Il arrive que le théâtre ressuscite des œuvres qu’on croyait promises à l’oubli. Avec "L’École de danse", Clément Hervieu-Léger réalise précisément cela : redonner souffle à une comédie que Goldoni retira de l’affiche après deux malheureuses représentations. Un naufrage originel, devenu aujourd’hui matière à renaissance.