« Minimal » à la Bourse de Commerce ou le vertige de l’épure radicale

"Minimal" à la Bourse de Commerce ou le vertige de l’épure radicale
Lee Ufan, From Line, 1978, huile et pigment minéral sur toile, 60 × 72 cm. Pinault Collection © Lee Ufan / Adagp, Paris, 2025. © Lee Ufan / Adagp, Paris, 2025.

« Minimal » à la Bourse de Commerce ou le vertige de l’épure radicale

Présenter le minimalisme dans la démesure de la Bourse de Commerce, c’est comme chuchoter dans une cathédrale : un pari risqué et pourtant étrangement fécond. Car sous la coupole circulaire de Tadao Ando, l’exposition « Minimal », conçue par Jessica Morgan, parvient à transformer ce paradoxe en expérience sensorielle. Elle ne cherche pas à illustrer un mouvement, mais à en éprouver la sensation.

Dès les premières salles, on comprend que l’exposition ne joue pas la carte du spectaculaire. Pas d’effets, pas de drame, pas de pathos — seulement la rigueur de formes pures, la lumière sur la matière, le silence comme cadre. Le parcours, structuré en sept chapitres (Lumière, Surface, Grille, Mono-ha, Équilibre, Matérialisme, Monochrome), propose une relecture intelligente du minimalisme.

Aux côtés des figures historiques — Donald Judd, Carl Andre, Dan Flavin, Robert Ryman —, Jessica Morgan invite des voix périphériques, longtemps ignorées du récit officiel : les Japonais du Mono-ha, les Brésiliens Lygia Clark et Cildo Meireles, les Italiens de l’arte povera, ou encore les Américaines Meg Webster, Mary Corse et Anne Truitt.

Ce geste curatorial, simple mais décisif, transforme la leçon d’histoire en cartographie vivante : le minimalisme n’est plus un style figé dans le Manhattan des années 1960, mais une attitude universelle, une façon de regarder autrement.

Une pédagogie du regard

L’installation monumentale de Meg Webster sous la coupole d’Ando constitue le cœur battant de l’exposition. Cinq sculptures — un cône de sel, un dôme d’ocre, un arc de cire, une sphère de terre rouge et un amas de branches — forment une topographie fragile, presque rituelle. La simplicité y est souveraine : la matière parle, la forme écoute.

Face à ces géométries naturelles, la majesté du lieu se tait. La lumière, filtrée par la coupole, glisse sur les surfaces avec une lenteur méditative. L’œuvre de Webster, longtemps marginalisée dans le récit masculin du minimalisme, renoue avec une dimension organique, presque spirituelle. Elle prouve que la rigueur n’exclut pas la sensualité, que l’épure peut naître du contact et non de la distance.

En intégrant le Mono-ha japonais, Jessica Morgan signe un geste essentiel. Les œuvres de Lee Ufan, Nobuo Sekine et Kishio Suga rappellent que le minimalisme n’est pas seulement une affaire de forme, mais de relation. Les matériaux ne sont pas réduits, ils sont révélés. La pierre dialogue avec le bois, la gravité avec la lumière, le geste avec l’espace.

Ce minimalisme-là ne cherche pas la perfection mais la présence. Là où l’Occident a fait du vide un concept, le Japon en a fait une respiration. La commissaire tisse ainsi une conversation subtile entre continents, époques et sensibilités : du rationalisme américain au naturalisme japonais, du formalisme industriel à la spiritualité matérielle

Autre point fort : la réhabilitation d’une lignée de femmes artistes qui ont su réinventer le « moins » comme un « autrement ». Mary Corse, par ses surfaces de verre microbilles qui captent la lumière ; Anne Truitt, par ses colonnes pastel oscillant entre peinture et sculpture ; Agnes Martin, par ses grilles vibrantes d’humanité, insufflent à l’ensemble une douceur exigeante.

Le minimalisme, ici, n’est plus une posture autoritaire mais une éthique de la nuance. Ce qui se joue dans « Minimal », c’est la possibilité d’un minimalisme sensible — moins doctrinaire, plus incarné, plus ouvert.

Le béton d’Ando, d’une perfection clinique, accentue le contraste entre le dépouillement des œuvres et le poids du lieu. Mais cette variation visuelle, paradoxalement, produit une tension intéressante : celle du minimalisme devenu spectacle, du silence exposé.

Dans un monde saturé d’images, « Minimal » agit comme un antidote. Ce n’est pas une exposition qui cherche à séduire, mais à désencombrer. Elle invite à la lenteur, à la contemplation, à la modestie du regard.

On y apprend à voir autrement — à distinguer un blanc d’un autre blanc, un angle d’un souffle, une ombre d’une trace. Et c’est peut-être là, dans ce désapprentissage du spectaculaire, que réside la véritable puissance de l’exposition : redonner au silence une valeur active, presque politique.

“Minimal” ne parle pas d’absence, mais de présence. Il nous rappelle qu’en art comme dans la vie, le moins peut être une forme d’abondance car délestée de tout superflu.

 Date : jusqu’au 19 janvier 2026 – Lieu : Bourse de Commerce (Paris)

NOS NOTES ...
Intérêt
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
minimal-a-la-bourse-de-commerce-ou-le-vertige-de-lepure-radicale "Minimal" à la Bourse de Commerce ou le vertige de l’épure radicale Présenter le minimalisme dans la démesure de la Bourse de Commerce, c’est comme chuchoter dans une cathédrale : un pari risqué et pourtant étrangement fécond. Car sous la coupole circulaire de Tadao Ando,...

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici