Un monde intranquille selon Arne Lygre

Un monde intranquille selon Arne Lygre
« Nous pour un moment » d’Arne Lygre, mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig, © Elizabeth Carecchio

Un monde intranquille selon Arne Lygre

Né à Bergen en 1968, auteur de romans et de nouvelles, Arne Lygre écrit pour le théâtre depuis 1998. Dès ses premières pièces, il se fait connaître hors des frontières de la Scandinavie. Traduites dans une douzaine de langues, elles sont jouées au Danemark, en Estonie, en Italie, au Portugal, au Brésil, en Allemagne. En France, un premier texte dramatique est traduit en 2000 par Terje Sinding. Mais sa véritable notoriété date des mises en scène de Claude Régy (qui crée Homme sans but à l’Odéon en 2006) et de Stéphane Braunschweig, qui nourrit pour l’écriture de Lygre une véritable passion.

Lygre partage avec d’autres auteurs du nord de l’Europe du nord certains traits caractéristiques, sans doute puisés dans l’héritage ibsénien : l’intérêt pour les relations entre proches (notamment au sein d’une famille) ; le goût des silences et des secrets intimes ; l’intensité énigmatique d’un laconisme n’excluant pas un certain goût du jeu ; un sens aigu des contradictions de la psyché ; une façon très particulière, à la fois discrète et frappante, de conduire en quelques répliques faussement banales au télescopage de différents plans d’énonciation ou d’existence, parfois jusqu’aux confins du fantastique.

Son œuvre explore de façon extrêmement personnelle les formes de la solitude et de l’aliénation contemporaines. Ses figures semblent parfois chercher à fonder, à inventer, ou simplement rejoindre un ailleurs. Mais cela ne dure pas. Et si cette invention d’un monde peut être légère et ludique, elle peut aussi se charger de menace, voire de déstabilisation.

Ainsi, Arne Lygre saisit ses personnages dans un interstice entre leur monde intérieur et le monde extérieur, un no man’s land où le réel réfracté peut être perçu dans une perspective différente et distanciée.

Avec cette pièce « Nous pour un moment », il interroge le glissement des relations à travers la figure d’un.e ami.e, d’un.e inconnu.e, ou d’un.e ennemi.e. Et qui pourrait endosser ce rôle à un moment donné, sachant que les protagonistes ont tous, les uns avec les autres, le niveau relationnel spécifique qui est induit par cette seule fonction. Voilà le postulat posé par l’auteur/dramaturge norvégien Arne Lygre et que met en scène pour la quatrième fois Stéphane Braunschweig. Une réussite totale.

Sur scène et dans un enchevêtrement existentiel, vingt personnages incarnés par sept comédien (ne) s, tour à tour ami(e) s, ennemi(e) s, connaissances ou inconnu(e) s, vont se croiser à deux, à trois, et se raconter. Enoncer ce qu’ils vivent, ce qu’ils ont vécu : une rupture, un drame, une frustration, un manque, jusqu’au moment… où un des protagonistes change de rôle, de sexe et de point de vue. Tantôt dominé, dominant, victime ou bourreau, ils nous entraînent dans une spirale émotionnelle, où des identités se télescopent, vacillent au contact l’une de l’autre, mais ne s’absorbent pas les unes dans les autres.

Un univers à la fois clos et perméable, où les rapports de domination, de dépendance et de soumission sont mouvants, propice à une dramaturgie qui instaure une part de mystère et d’incertitude sur la réalité des personnages et de leurs actions. Le tout porté par une écriture sobre, elliptique, anguleuse, concrète, composée de phrases courtes, et suggestive, qui fait sourdre une violence souterraine et une angoisse existentielle.

On assiste à des personnages aux prises avec une incommunicabilité intérieure car ce n’est pas une solitude de situation, puisque ils sont avec d’autres mais à coté, en dehors, et prisonniers de leur façon d’être au monde, incompatible avec celle de l’autre.

Des existences intranquilles

Les personnages s’expriment à la première et la troisième personne, ils pensent à haute voix, se racontent comme s’ils se regardaient de l’extérieur. On ne sait rien d’eux en dehors de ce qu’ils disent eux-mêmes. Comme suspendus entre le passé et le futur, ils se débattent avec l’incertitude de leur vie.

La scénographie signée Stéphane Braunschweig sert à merveille l’écriture singulière du dramaturge norvégien. Aux sables mouvants de la conscience se répondent son miroitement à travers une eau en clair/obscur, tandis que le plateau offre dans une abstraction parfaite, un vaste rectangle qui s’ouvre ou se referme le temps d’un instant, sur d’autres vies que la leur.

Et dans cette odyssée, les acteurs sont convaincants de vérité pour incarner cette difficulté à être au monde. Anne Cantineau, Virginie, Colemyn, Cécile Coustillac, Glenn Marausse, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal, portent de concert cette intranquillité de l’existence.

Dates : du 15 novembre au 14 décembre 2019 – Lieu : Berthier 17è (Paris)
Metteur en scène : Stéphane Braunschweig

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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