Bergman sous le regard percutant d’Ivo van Hove

Bergman sous le regard percutant d'Ivo van Hove
© Vincent Bérenger

Bergman sous le regard percutant d’Ivo van Hove

Le metteur en scène Ivo van Hove poursuit son compagnonnage avec l’œuvre d’Ingmar Bergman. Précédemment, il avait déjà présenté une remarquable adaptation théâtrale de Scènes de la vie conjugale en 2005, et de Cris et chuchotements en 2009. Cette fois et douze ans après sa création en néerlandais avec sa troupe du Toneelgroep Amsterdam, il reprend en français sa mise en scène des textes de Après la répétition et Persona.

Après la répétition est un spectacle sur la signification du théâtre. Pour le metteur en scène, le théâtre est sa vie ; il n’existe que par et pour lui. Ses spectacles constituent son autobiographie et l’illusion théâtrale, sa réalité. Au cours de leur conversation sur le spectacle et sur la vie apparaissent des spectres du passé, sous les traits d’une mère et d’une ancienne amoureuse.

Charles Berling interprète ce metteur en scène qui ne quitte plus la salle de répétition, ne respirant que par son art et pour qui l’univers illusoire du théâtre est bien réel. Le dialogue qu’il entreprend avec son actrice principale (Justine Bachelet) est alors imprégné de cette dévotion totale, absolue au théâtre.

Pour lui, le monde de l’illusion et de la fiction sont bien réels. Car c’est par le théâtre qu’il ressent ses désirs les plus profonds, qu’il exorcise ses peurs, qu’il voit naître ses nouveaux amours, et qu’il se sépare de ses anciennes relations.

Et une répétition car une fois de plus, Vogler met en scène Le Songe de Strindberg, pièce impossible à monter ; une fois de plus, le voici confronté à une jeune actrice (ce fut d’abord la mère puis aujourd’hui la fille) dont il pourrait tomber amoureux.

Un va-et-vient entre réminiscence du passé et instant présent, où deux comédiennes -la mère et la fille- éprouvent une attirance pour le metteur en scène. S’engage alors entre eux un face à face percutant, entre règlement de compte et intime confession.

Chacun se provoque à coup de mensonges et se séduise à force d’imagination. Lorsque Hendrik évoque sa mère disparue (Emmanuelle Bercot), Rachel – avec laquelle il entretenait une relation adultère – l’actrice minée par l’alcool et l’angoisse fait son apparition, telle un spectre du passé. Elle confronte Hendrik à sa lâcheté et à ses hésitations durant les années de leur relation.

Puis, le dialogue reprend avec Anna qui lui annonce qu’elle est enceinte et souhaite abandonner son rôle. Voyant sa réaction indignée, elle lui avoue qu’elle a avorté et qu’elle voulait seulement le tester. Tous deux imaginent alors comment ils pourraient entamer une relation, et s’inventent la vie qu’ils mèneraient.

Dans Persona, une actrice fêtée (Emmanuelle Bercot) interrompt brusquement une représentation et se mure désormais dans le silence. Une jeune infirmière (Justine Bachelet) tente de lui faire retrouver la joie de vivre, mais progressivement, elle comprend à son tour combien sa propre vie est vide et insignifiante.

L’art et la manière d’Ivo van Hove

Et le théâtre qu’Ivo Van Hove compose devient alors une partition des corps, le moindre mouvement, le moindre murmure retentit. Propice à une écriture picturale, performative et sensorielle de haut vol.

Bergman se plait à pointer les masques que l’on porte et qui se superposent dans le but de se mentir à soi-même et de se renier afin de se conformer au modèle social dont la critique rappelle le théâtre des plus grands dramaturges scandinaves, comme Strindberg ou Ibsen.

Deux textes donc qui mettent en scène des hommes et femmes de théâtre confrontés au rapport ambivalent que le métier de comédien entretient avec la vie, vraie ou fantasmée.

Une mise en abîme qui se joue à l’envi de la frontière entre le réel et la fiction comme du dédoublement des protagonistes et de leurs intentions où se font jour les rapports de force et de séduction, l’intranquillité des sentiments et leur ambiguïté.

Cette ligne ténue entre réalité et imaginaire, là où le théâtre et la vie se confondent et se répondent dont Bergman n’a eu cesse de sonder cet enchevêtrement et de mêler ainsi vie intime et fiction.

L’un a ici abandonné la vie à la faveur du théâtre, l’autre abandonne l’art par nostalgie de la vie, et dont les personnages aux multiples facettes n’ont cesse de se complexifier au fil des situations qu’ils affrontent.

D’une maîtrise absolue, la mise en scène offre un écrin parfait à cette parole intranquille et à cette déflagration souterraine qui creusent les rapports humains entre fiction et authenticité, sincérité et artifice, attraction et manipulation.

A l’abri d’une scénographie percutante de Jay Versweyveld, la salle de répétition est d’abord un espace intime et clos où le monde extérieur est tenu à distance, catalyseur des mots, des dialogues, des émotions, des combats qui traversent et percutent les protagonistes.

Puis, les cloisons tombent pour laisser place à une chambre d’hôpital et à une île entourée d’eau, espace mental ouvert aux vertiges de l’âme humaine et de sa quête existentielle.

Dans cette traversée sur le théâtre et son débordement intime, les comédiens Charles Berling, Emmanuelle Bercot, Elizabeth Mazev, et Justine Bachelet excellent d’intensité et d’humanité tourmentée. Bravo !

Dates : 6 au 24 novembre 2023 – Lieu : Théâtre de la Ville (Paris)
Metteur en scène : Ivo van Hove

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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