« L’Autre Fille » d’Annie Ernaux, seul en scène intense et percutant

"L'Autre Fille" D'Annie Ernaux, seul en scène intense et percutant
Marianne Basler dans l’Autre Fille © Julien Piffaut

« L’Autre Fille » d’Annie Ernaux, seul en scène intense et percutant

Depuis 35 ans, Annie Ernaux, lauréate du prix Nobel de littérature en 2022, se raconte, elle, son père, sa mère, ses amants, ses années, et là, dans ce récit présenté sur scène, une absente apparaît, sa sœur ainée disparue avant qu’elle n’écrive.

« Elle était plus gentille que celle-là. » Celle-là c’est elle, Annie Ernaux.

Des mots surpris de la bouche de sa mère l’été de ses 10 ans. Des mots comme des gifles quand on se croit unique et adorée. Par ces paroles, Annie Ernaux est ainsi qualifiée de moins sainte, moins gentille, inexistante à jamais puisque remplaçante. On ne lutte pas contre une morte, encore moins contre une sainte. Sans doute est-ce pour cette raison que l’écrivaine n’a jamais osé parler de sa sœur à ses parents : « J’espérais peut-être qu’à la faveur de ce silence ils finiraient par t’oublier. »

Une place vide 

Comme dans ”Les Années”, elle utilise de vieilles photographies, cailloux blancs sur le chemin de son passé, pour reconstruire le méccano de son enfance et comprendre comment cette sœur, dont les parents n’ont jamais parlé, n’a eu de cesse d’occuper à côté d’elle une place toujours vide. Elle nous raconte comment ce double invisible l’a, en fait, comme dépossédée de son identité, en s’inscrivant en reflet permanent et inaccessible de sa propre vie.

Mais heureusement il y aura l’écriture, la plus que vive, sa raison d’être « Je n’écris pas parce que tu es morte, tu es morte pour que j’écrive. »

Et pas de sentimentalisme dans cette réappropriation de la vie, pas d’effusion pour un être jamais connu, éternellement tu, mais la déconstruction d’un silence, l’identification d’un fantôme.

Que l’écrivaine poursuit sans relâche à travers des souvenirs de l’enfance, des objets, des bruits, des photos, des images, des attitudes et ou des réactions de ses parents, qui traduisent la perte, l’absence, le ressentiment.

Avec des phrases courtes et acérées, elle brise le secret de famille, s’interroge. Comment être quitte ? Pourquoi n’avoir rien dit ? L’écriture sonne comme un uppercut, un coup de tonnerre. L’adresse est franche et violente : l’incarnation, une évidence.

Sur un fil entre révolte et distance, entre l’indicible et une résurgence irrépressible, l’écriture dense et puissante creuse la mémoire et fait le lien entre le passé et le présent, l’ici et l’ailleurs. Là où se révèle la permanence en elle de cette absente/de cette absence.

Dans une scénographie sobre en demi-teinte, Marianne Basler, avec une intensité rare, donne corps à cet écho d’outre tombe et à sa déflagration aussi intense que percutante. Bravo !

Dates : du 29 septembre au 20 décembre 2022 – Lieu : Théâtre des Mathurins (Paris)
Mise en scène : Jean-Philippe Puymartin et Marianne Basler

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Interprétation
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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