Au monde, opéra de Philippe Boesmans sur un livret de Joël Pommerat pour une rencontre au sommet

Au monde, opéra de Philippe Boesmans sur un livret de Joël Pommerat pour une rencontre au sommet, à voir chez vous ! 
Au monde, opéra de Philippe Boesmans sur un livret de Joël Pommerat – © E.Carecchio

Au monde, opéra de Philippe Boesmans sur un livret de Joël Pommerat pour une rencontre au sommet

Depuis plus de quinze ans, Joël Pommerat qui se revendique “écrivain de plateau”, écrit et met en scène. Reconnaissables dès les premières secondes pour l’univers poétique dont elles sont tissées, mêlant intimement le clair-obscur de l’imaginaire (l’inconscient) à la réalité mais aussi les rapports sociaux entre individus, les histoires scéniques de Joël Pommerat s’apparentent à des comtes moraux et immoraux. Où comment le bien et le mal se masquent, se mélangent l’un derrière l’autre, l’un avec l’autre. Et à partir d’un sujet qui semble tout à fait réaliste donc concret, le dramaturge nous entraîne de par son écriture dans une autre réalité, celle de personnages enfermés en eux-mêmes qui rêvent et parlent seuls à travers de longs discours émouvants ou encore entre eux, déterminés par le rôle familial/social dans lequel ils sont enfermés.

Avec Au monde (créé en 2004), tout l’art de la mise en scène de Joël Pommerat se trouve là et annonciateur de son histoire de théâtre qui n’est pas seulement de raconter la société ou le politique mais aussi de concrétiser un univers sensible : Plateau dépouillé, utilisation de la lumière (d’où vient-elle et comment éclaire-t-elle ?), quasi- absence de couleurs (des contrastes), mise en valeur du corps de l’interprète dans l’espace scénique mais solitude de ces corps, utilisation du fonds de scène comme unique décor stylisé. On y devine le mystère, la solitude et le possible inaccompli de chacun des personnages.

De sa rencontre avec Philippe Boesmans, compositeur des superbes Reigen et Yvonne, princesse de Bourgogne, habitué à mettre en musique des grands textes de Shakespeare, Schnitzler ou Strindberg adaptés par le fidèle Luc Bondy, est né l’adaptation au genre lyrique de sa pièce éponyme.

Les paroles empreintes de mystère permettent à la musique de Boesmans d’imprimer d’une nouvelle résonance la dramaturgie porteuse de sous-entendus et de non-dits, amplifiant l’écho suggestif. Elle est portée par un plateau vocal d’exception dirigé par Patrick Davin à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio France et emmenée par l’éblouissante Patricia Petibon.

On est ici introduit dans une famille de la grande bourgeoisie industrielle. Un patriarche vieillissant est désireux de passer la main à son fils cadet introverti, soudainement revenu d’une guerre lointaine. Trois soeurs – la similitude avec « Les trois soeurs » de Tchekhov est intentionnelle – se débattent avec leurs traumatismes. L’aînée, enceinte d’on ne sait qui, comme absente, la seconde rêvant d’un “monde qui fera de l’homme la seule valeur” , mais animatrice d’une émission de télévision et enfin la plus jeune, adoptée pour remplacer une enfant mystérieusement disparue.

Les hommes, puissants, en costume-cravate vaquent à leurs affaires et tentent de composer avec les femmes de la famille, entièrement vouées, elles, aux affres de la séduction et de l’amour. Ambitions et jeux de pouvoir, omnipotence de l’aisance, de l’argent, de la sphère masculine, épaississent les ténèbres de ce microcosme glaçant que percent peu à peu une quête obstinée de la vérité chez ces êtres aux personnalités troubles flouées par leurs secrets interdits.

Dans ce huis-clos en forme de labyrinthe intime où s’aborde des préoccupations du quotidien : comme le travail et la famille, le décor anxiogène cristallise vertigineusement un ballet d’ombres où une barre verticale de lumière blanche presque éblouissante dans la pénombre, constitue la seule ouverture vers le dehors et face à laquelle une des sœurs souvent se cogne et se raccroche.

Les échanges sont ponctués d’angoisses et d’attentes obscures. Les incertitudes de la mémoire, du désir, de l’identité, troublent la limite entre jour et nuit, tandis que çà et là éclatent des faits à demi énigmatiques et nous renvoie à des considérations philosophiques et existentielles. Le frère cadet ne cherche-t-il pas à “faire quelque chose de vrai, quelque chose de profond”? Un peu comme chacun de nous cherchant sa place Au monde.

Mais de même qu’on ne peut, sans doute, se trouver simultanément dans plusieurs pièces de cet appartement aux recoins pour le moins fantastiques, de même on ne saurait fixer de point de vue unique d’où embrasser l’ensemble des positions et des histoires de tous ses occupants. Comme si, où que l’on cherche à se placer, il subsistait toujours un point aveugle. Telle est bien la complexité de cet espace familial et des personnages qui le hantent avec cette part aussi de trivialité, là comme à la surface du monde, à la surface du réel.

Sur le plateau, les actions s’enchaînent parfaitement découpée en brèves séquences entre un clair obscur sidérant et une sophistication fascinante qui constituent la sensibilité esthétique de l’auteur metteur en scène. Où la partition musicale en transfigure l’atmosphère. Comme le fit Debussy sur le Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, Philippe Boesmans distille une substance sonore au silence, au noir et à la lumière. Une expérience sensorielle qui ouvre à une nouvelle dimension de l’œuvre propice à son climat d’étrangeté et de perdition.

Les artistes/chanteurs sont à l’unisson pour interpréter leur personnage de conte initiatique dans un subtil ballet de va-et-vient propre à l’expression nuancées, variées des tessitures entre gravité et radicalité.

La captation n’est plus disponible

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Plateau vocal
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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