Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, mis en scène par Dominique Pitoiset, à Paris

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Odéon – Théâtre de l’Europe jusqu’au 28 juin 2014

Loin des perruques, des épées, et des ors de l’Hôtel de Bourgogne, Dominique Pitoiset propulse Cyrano chez les fous et nous livre une version aussi radicale qu’inattendue du chef-d’œuvre d’Edmond Rostand. Et pour incarner cet homme à part, ici et maintenant, qu’il voit d’abord comme un esprit irréductible et jusqu’au-boutiste, il fait appel à Philippe Torreton qui lui insuffle une densité et une humanité exceptionnelles.

[pull_quote_center]Portée par l’engagement sans faille de la troupe avec à sa tête, un Philippe Torreton au sommet de son art : subtil, signifiant, émouvant, la pièce est une leçon de théâtre[/pull_quote_center]

La scène d’exposition à l’abri d’un décor impersonnel s’ouvre sur la salle commune d’un hôpital psychiatrique où les comédiens, campés comme des malades en déserrance, endossent tour à tour les personnages qui donnent le change au fameux Cyrano.

C’est là, en marcel blanc, crâne rasé, assumant sa laideur comme un défi lancé à la face du monde, que Cyrano, interdit d’amour mais qui en pince pour Roxane amoureuse de Christian, revendique sa droiture, son  indépendance, son intransigeance et son appropriation des mots.

Où dans un acte de bravoure, il va prêter à l’amoureux transi, un rival, mais limité en inspiration, son verbe flamboyant pour séduire l’impétueuse Roxane.

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À l’intérieur de ces murs blancs, le metteur en scène joue habilement du décalage et des anachronismes. Avec dans un coin, un juke-box qui envoie comme des éclairs mélancoliques de la musique : Elton John, Queen, Alain Bashung, The Pogues ou encore Edith Piaf avec les compagnons de la chanson.

Et des scènes jubilatoires revisitées à l’instar du duel avec le vicomte qui tourne au combat de rue, couteau à cran d’arrêt contre fer à repasser, celle aussi avec ces lettres écrites par Cyrano qui flottent au vent sur des fils à linges ou encore la tirade mémorable du balcon qui voit Cyrano souffler à Christian la poésie qui enflamme l’ingénue, désormais transposée à l’ère du multimédia. Elle s’établit via une communication par Skype à partir d’un ordinateur portable et d’un écran géant descendu des cintres renvoyant l’image sur écran géant de Roxane.

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Dominique Pitoiset réussit à nous embarquer dans cet univers décalé et à imposer, par la vertu du jeu et la lecture de l’oeuvre, un Cyrano tourmenté à la force d’âme attachante et  farouche défenseur de sa condition d’homme libre.

Cyrano, serait donc fou puisqu’il est l’ennemi de la pensée unique où ni les puissants, ni la guerre, ni la mort, ne peuvent arrêter le feu de ce poète amoureux.

Une théâtralité qui redonne toute sa dimension au texte où la tirade « Non merci » vibrante dans son incarnation, est saisissante de la vérité d’un homme et de ses sentiments.

Portée par l’engagement sans faille de la troupe avec à sa tête, un Philippe Torreton au sommet de son art : subtil, signifiant, émouvant, la pièce est une leçon de théâtre…

Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.

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