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« Le Silence » et son écho au Vieux-Colombier

"Le Silence" et son écho au Vieux-Colombier
Le Silence – Mise en scène Lorraine de Sagazan (© Jean-Louis Fernandez)

« Le Silence » et son écho au Vieux-Colombier

« Dans l’économie de paroles, un autre rapport à la vérité se dévoile » écrivent Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix, les auteurs de ce spectacle radical et habité. Un drame sans dialogue donc, inspiré du cinéma d’Antonioni et dans lequel le spectateur, plus disponible que jamais, compose la narration.

Car le spectateur est dans la position d’un enquêteur dont le parcours est jalonné par des moments-clés, où c’est à lui d’agencer à sa guise et selon son propre ressenti, les pièces d’un puzzle dont le dessin se précise peu à peu tout au long de la représentation.

Il ne s’agit pas ici de l’adaptation d’un scénario mais d’une création inspirée de la vision artistique du cinéaste avec ses thèmes de prédilection tels que le manque d’amour, la disparition, la recherche de la vérité, le temps qui passe et de sa dimension plastique qui travaille sur le monologue intérieur.

Le plateau, en bifrontal, sépare le public en deux. Vision panoramique sur un appartement bourgeois, bohème, et en désordre : siège confident, piles de 33-tours, bibliothèque, buffet, table en faux marbre, photos sous cadre, livres (La Révolution copernicienne, La Fabrique des rêves), des post-it sur une glace, ou encore une bouteille de whisky. Dans un coin, des cartons emballés et en surplomb au dessus du mobilier, un écran vidéo. Et puis un chien qui déambule dans ce décor en mouvement et immobile, du dedans et du dehors.

Des sensations à l’introspection 

Une scénographie (Anouk Maugein) narrative aux couleurs chaudes et sous les musiques enflammées de Lucas Lelievre. Un couple de parents (Marina Hands et Noam Morgensztern) est là, porteur d’une douleur immense.

Sur scène, le couple mutique est rejoint par deux proches, Julie Sicard et Stéphane Varupenne, ainsi qu’un personnage mystérieux (une mémoire) Baptiste Chabauty, qui reçoit impassiblement tous les affects.

D’entrée un climat s’impose et s’empare des personnages avec une essence singulière et une acuité particulière où l’on découvrira peu à peu la raison de ce chaos intérieur au travers des objets, des sons et des images projetées.

Un tempo porté par des résonnances multiples aux prises avec la perte, l’attente, l’absence ou le désir de couples qui se font et se défont.

Dans ce théâtre introspectif et de l’intime au bord du vide, les acteurs sont saisissants. D’un insaisissable mystère, Marina Hands capte la scène d’un jeu d’une infinie précision aux maintes variations où elle donne tout. Entre emportement, abattement, pleurs, ressaisissement, jusqu’à cette scène mémorable où elle livre une danse tribale aussi introspective qu’exutoire.

Ses allées et venues, à la manière de formules incantatoires, créent un rythme lancinant et instaure une ambiance lourde où le malaise du couple se fait asphyxiant.

Une détresse envahit l’espace où la mise en scène incarnée de Lorraine de Sagazan cristallise au plus près ce huis clos et le temps qui se suspend, se tend et s’anéantit, là où la condition d’être se débat entre l’ici et l’ailleurs, la rage et le renoncement, la force et la brisure. Bravo !

Dates : du 31 janvier au 10 février 2024 – Lieu : Comédie-Française – Vieux- Colombier (Paris)
Mise en scène : Lorraine de Sagazan

A nous trois, un super roman de Marie Sellier (Casterman)

A nous trois, un super roman de Marie Sellier (Casterman)

Marie Sellier nous propose un très chouette roman, centré sur l’adolescence : A nous trois.

C’est l’histoire de trois filles, adolescentes. Elles entrent en 3ème dans le même collège. Lilly vient de Nice, Mina de Nantes, quant à Angèle, elle a toujours été à Paris mais elle change aussi de collège suite à un déménagement.

Dès le premier jour de la rentrée, elles font connaissance. Toutes les trois nouvelles ! Alors, forcément, pas d’ami !

Et puis elles se rendent compte qu’elles habitent tout près les unes des autres. Même rue ! et Lily et Mina habitent même le même immeuble ! Et deviennent très vite le trio inséparable.

Elles sont très différentes ces trois adolescentes. Mais chacune a déjà un lourd passé. Rien n’a été facile pour elles. Au fil des pages, le lecteur découvre le passé de chacune, avec ses épreuves, ses douleurs, ses angoisses. Pas facile de se confier…

L’auteur aborde des thèmes très importants, comme le harcèlement scolaire, la violence familiale, le divorce, la crainte du lendemain, les relations intergénérationnelles, l’amitié…

Rien n’est vraiment facile pour elles. Mais en se confiant les unes les autres, elles vont trouver la force d’affronter des situations qui leur paraissaient impossibles ! A trois, elles peuvent tout faire ! Tout affronter !

Elles se comprennent tellement bien et peuvent tout se dire !

A nous trois est une très belle histoire qui donne de la force et de l’espoir même quand tout va mal. Les filles retrouvent une bonne estime de soi, chacune à leur tour et leur vie au collège devient nettement plus enrichissante.

On attend avec impatience la suite de cette histoire car on ne peut pas rester sans suite ! N’est-ce pas Marie Sellier ? Dites-nous vite s’il y aura une suite ! On est accro à Lilly, Mina et Angèle…

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Infos de l’éditeur :

Date de parution : Février 2024
Auteur : Marie Sellier
Editeur : Casterman
Prix : 12,90 €

Louis Arlette dévoile son nouvel album Chrysalide

Louis Arlette enchaine les albums depuis Sourire Carnivore en mars 2028 en passant par Blanc et Bleu en 2021 et Sacrilèges en avril2023. Il continue de tracer son sillon avec un cinquième album qui le voit encore évoluer vers une nouvelle incarnation, plus obscure et toujours un peu plus tourmentée. Sa musique tend vers une électro-rock sophistiqué aux accents trip-hop assez fascinants. Les paroles sont toujours teintées de poésie abrasive pour une écoute toujours plus investie.

Un retour fascinant

L’album Chrysalide s’ouvre sur le titre Lapis Lazuli qui donne le ton. Les tonalités sont à la limite de la musique industrielle pour mettre en valeur la plume toujours tranchante du chanteur. Les autres titres comme Magnifique ou Babylone + Calories Calimero entretiennent l’ambiance métallique qui s’échappe des mélopées. Certains titres sont particulièrement envoutants comme Samsung enragé ou Croque Odile, et Le cafard et les sashimis louvoie du côté des rêves tourmentés. L’ auteur-compositeur-interprète, ingénieur du son et producteur français a vu sa crinière se développer depuis le premier titre marquant qui l’a révélé en 2017, Le moment est venu. Lui qui a collaboré avec le groupe Air depuis 2007, a également collaboré avec des artistes comme Jean-Paul Goude, Carla Bruni, Cat PowerCharles BerlingColin Greenwood du groupe Radiohead et a créé son propre studio d’enregistrement le Bruit Blanc. Un échange internet en 2021 a permis d’échanger avec l’artiste sur sa philosophie de vie à l’heure de son album L’arbre de vie et ses intentions, avec une sincérité réconfortante en des temps immémoriaux de crise sanitaire. Il est toujours aussi intense et convaincant avec ce nouvel album que l’on espère reconnu à une plus grande échelle publique.

Ce nouvel album Chrysalide laisse présager d’une envie d’expérimentation qui laisse pantois, l’inventivité est constante et il nous tarde de le découvrir sur scène pour partager les volutes d’une atmosphère remplie de poésie et d’ambition artistique. Les 9 chansons sont comme des récits initiatiques qui tiennent en haleine tout du long.

Les feuilles mortes, un nouveau film concept d’Ari Kaurismaki à découvrir en DVD/BRD/VOD le 6 février

Le cinéma d’Aki Kaurismaki a ses aficionados et ses détracteurs, difficile de ne pas avoir une opinion tranchée sur ses choix esthétiques et scénaristiques. Le charme désuet peut plaire ou pas, l’histoire d’Ansa (Alma Pöysti) peut soulever une vraie empathie ou laisser froid. La femme est courageuse, elle enchaine les boulots sans intérêt et rencontre Holappa (Jussi Vatanen), lui aussi à l’existence minuscule et alcoolique. Il voit les portes se fermer devant lui, ils sont faits pour se rencontrer.

Un film particulier

L’image qui reste, c’est ces 2 personnages assis l’un à côté de l’autre avec les regards dans le vide. La Finlande ne devrait pas connaitre un boom touristique avec ce film, les bars sont glauques, les karaokés sont sinistres, pas de rire ni d’action, encore moins de sourires. Le choix esthétique du réalisateur est tranché, faisant plonger le spectateur dans une marmite remplie de spleen entre amertume et mélancolie. Pendant ce temps là, les nouvelles de la guerre en Ukraine remplissent les ondes, rajoutant une couche au spleen ambient. Le film ouvre une lucarne sur une réalité sociale peu connue dans les pays nordiques connus pour leur démocratie avancée et leur haut niveau d’enseignement qui n’empêche pas les travailleurs de se faire jeter dehors en un temps record, c’est du moins ce que semble montrer le film. La question se pose de l’existence d’un contrat de travail et d’indemnité de licenciement. Ansa est mise dehors sous un prétexte étrange, elle a pris avec elle un surgelé périmé au lieu de le jeter à la poubelle, le prétexte est assez sommaire. Le réalisateur préfère se concentrer sur des futilités, certes futiles mais remplies d’humanité, sans action ni violence, car la vie est déjà suffisamment violente. Le désir d’amour, la solidarité et l’espoir en l’autre fondent son cinéma. Le titre du film est évidemment inspiré d’une chanson, celle homonyme signée Prévert et Kosma. Par ailleurs, cette tragi-comédie est la quatrième partie que l’on croyait perdue de la trilogie du réalisateur (Ombres au paradis, Ariel et La fille au allumettes).

Les Feuilles mortes a obtenu le Prix du Jury au Festival de Cannes 2023Aki Kaurismäki revient régulièrement sur la Croisette, lui qui a déjà présenté Au loin s’en vont les nuages, L’Homme sans passéLes Lumières du Faubourg et Le Havre. Le film est à découvrir le 6 février pour une séance de rattrapage.

Synopsis: Deux personnes solitaires se rencontrent par hasard une nuit à Helsinki et chacun tente de trouver en l’autre son premier, unique et dernier amour. Mais la vie a tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur.

Un Crémant de Bourgogne AOC Brut Méthode Traditionnelle des Orfèvres du vin à découvrir

Ce Crémant de Bourgogne AOC Méthode Traditionnelle est représentatif des méthodes traditionnelles de Bourgogne du Sud, qui comporte des parcelles situées sur les meilleurs coteaux de secteurs complémentaires. Cette cuvée bénéficie des soins attentifs de viticulteurs professionnels réputés et du Maître de Chais Amélie Thomas. Ce millésime est un assemblage de millésimes choisis. A l’œil, il se distingue par une robe légère et lumineuse. Au nez, il est possible de distinguer des arômes fruités. En bouche, l’attaque est souple et tendue à la fois. Le vin est sec, il doit être servi de manière préférentielle pendant l’apéritif sous forme de kir royal. La bouteille est proposée au tarif très avantageux de 10,50 euros, une bonne raison pour une dégustation avec modération.

Publireportage:

Fondée en 1929, la cave regroupe l’équivalent d’un gros Domaine avec 60 adhérents. Les Orfèvres du Vin sont devenus au fil des années des artistes autant que des artisans. Car c’est réellement tout un art de développer une telle palette de 15 appellations de qualité constante, sur 120 hectares, cultivés et soignés dans la plus pure tradition vigneronne. Et il faut tout le talent et tout le savoir-faire d’artisans passionnés par leur métier et amoureux du Mâconnais pour élever années après années des vins blancs et rouges qui se distinguent régulièrement dans les concours régionaux et nationaux. Situés aux portes du Mâconnais, les Orfèvres du Vin sont depuis toujours attachés à donner leurs plus belles lettres de noblesse aux cépages phares de la région : l’Aligoté bien sûr, mais aussi l’inimitable Chardonnay ainsi que le Gamay et le Pinot noir. Pour vos destinations de loisirs et de week-end, le chai est situé idéalement dans un écrin de verdure au départ de la Voie verte Mâcon-Cluny, face à la Roche de Solutré. Le circuit du Val Lamartinien, ou encore le circuit des églises romanes, achèveront de vous dépayser dans un cadre touristique et culturel authentique et varié.

[BD] L’Orateur : un polar antique captivant sur l’art de la plaidoirie à Rome (Glénat)

[BD] L’Orateur : un polar antique captivant sur l’art de la plaidoirie à Rome (Glénat)

Récit complet proposé par Luca Blengino, David Goy (au scénario) et Antonio Palma (au dessin), L’Orateur est une plongée dans la Rome Antique de Marc Aurèle. Une plongée qui cultive avec brio le sens de la mise en scène à travers une enquête policière menée par le plus grand orateur de la ville : Marcus Cornelius Florens. Ce dernier est sorti de sa retraite pour s’intéresser au meurtre de son ami médecin grec, dont l’accusé n’est autre que le fils. Un parricide très lourdement sanctionné par une peine de mort atroce (contrairement à l’infanticide qui lorsqu’il est commis par le pater familias, n’est que banalité pour Rome).

L’avocat hors pair, après s’être forgé une conviction profonde à travers son enquête, va faire la pleine démonstration de ses talents en place publique, lors d’un procès retentissant. Un récit rythmé et captivant qui offre une fenêtre sur l’Histoire de Rome, ses us et coutumes de l’époque. Le tout est illustré avec un trait réaliste qui développe des personnages graphiquement travaillés et expressifs. On a plaisir à parcourir ces planches.

L’Orateur ne déçoit pas. Un album one shot à découvrir sans plus attendre !

Extrait de la BD :

Résumé de l’éditeur :

Un coupable idéal

Rome, IIe siècle après J.-C. Edilus, le médecin le plus respecté de la communauté grecque de Rome vient d’être sauvagement assassiné. Son fils Alexandre, que le vieux médecin comptait à minima déshériter est déjà désigné coupable ! Un procès expéditif attend donc ce garçon qui, selon les lois romaines, encourt la peine capitale pour parricide. Mais ce verdict intrigue Marcus Cornelius Florens. Cet orateur hors pair, le meilleur avocat de Rome, se douterait-il de quelque chose ? Lui qui se tient depuis des années à l’écart des basses intrigues de la « vie publique » se méfie surtout des coupables trop parfaits. Contre toute attente et sur les supplications d’Hipatia, la veuve d’Edilus, Marcus accepte de défendre ce jeune fils d’immigré grec accusé du crime le plus grave dans la cité impériale. Mais sans témoins, sans preuves, ni alibi, les chances de renverser le cours de l’enquête sont quasi nulles. À moins… qu’en remontant le fil de l’histoire familiale, l’enquête ne ramène Marcus là où tout a commencé : dans la maison de la victime… Le procès public, très attendu, approche. Bientôt Marcus va déployer tout son talent lors d’une joute oratoire où la vérité compte moins que cet art du discours…
Polar judiciaire sous la Rome antique de Marc Aurèle, ce one shot nous plonge habilement à une époque où tout comme les gladiateurs du Colisée, l’art oratoire était un sport redoutable, mais pratiqué dans une arène différente, le Forum. Ce bel album au dessin réaliste et au scénario romanesque éveille en plus notre curiosité historique à travers cette enquête pleine de tensions et de péripéties dans les ruelles romaines.

Date de parution : le 17 janvier 2024
Auteurs
: Luca Blengino, David Goy (scénario) et Antonio Palma (dessin)
Genre : Histoire, Policier
Editeur : Glénat
Prix : 16,95 €
Acheter sur : BDFugue

Quarante voleurs en carence affective, Boris Cyrulnik (Odile Jacob)

Quarante voleurs en carence affective, Boris Cyrulnik (Odile Jacob)

Boris Cyrulnik nous révèle toute sa psychologie dans ce livre : Quarante voleurs en carence affective.

Publik’Art avait déjà beaucoup apprécié : Là où tout commence, Les 1000 premiers jours. Une oeuvre collective centrée sur le tout-petit.

Il est évident que l’auteur, Boris Cyrulnik, que tout le monde connaît, surtout grâce à sa définition de la résilience, reprend les mêmes idées fondamentales sur l’éducation du jeune enfant. Sur la bienveillance que l’on doit au bébé de façon à ce qu’il se développe le plus possible, et en parfaite sécurité. Thème très cher à l’auteur.

Avec Quarante voleurs en carence affective, l’auteur révèle son vécu, ses observations et ses conclusions. Ayant été privé d’affection, très jeune, il s’est naturellement tourné vers les animaux et a beaucoup appris d’eux. En nous dévoilant les résultats de ses années d’observation, il fait un parallèle entre les comportements animaux et les comportements humains. Dans le seul but de mieux comprendre la complexité de l’humain. Il nous révèle de nombreux témoignages, tous plus incroyables les uns que les autres.

La violence a toujours existé, depuis la nuit des temps, et dans toute société. L’auteur nous explique pourquoi la guerre existe, pourquoi les comportements extrêmes reçoivent un tel succès. Il nous offre une approche psychanalytique de la violence qui règne dans notre monde.
Le lecteur découvrira l’immense culture de Boris Cyrulnik qui, à 86 ans, ne lâche rien, bien au contraire ! C’est un peu un livre où il nous dit tout sur tout ! Tout sur presque tous les sujets ! Tout pour mieux comprendre l’Homme dans son entité, dans son originalité.

Quarante voleurs en carence affective est à lire pour nous aider à avancer en gardant confiance en nous, en notre avenir, en notre jeunesse…

Voilà quelques extraits de Quarante voleurs en carence affective :
– Les grands tyrans comme Napoléon, Hitler ou Staline ont été adorés par le peuple qui désirait consacrer ses forces à faire triompher celui qui avait su les enthousiasmer. P.61
– Les découvertes génétiques ont amené à penser que les femmes bénéficient de l’effet protecteur du double X. Lorsqu’elles meurent jeunes avant les hommes, c’est que la société a mal fait son travail. P.82
– Mal vivre fait vieillir et diminue l’espérance de vie. P.85
– Si un cerveau apte à la parole ne rencontre pas un autre cerveau apte à la parole, il n’aura aucune chance de parler, même s’il est sain. P.168
– Les soins parentaux sont une forme d’altruisme que de nombreuses espèces d’oiseaux et de mammifères manifestent impérativement. P.188
– Avec l’interdit de l’inceste, un acte sexuel biologiquement possible venait de devenir un crime contre la société. P.237
– Les écrans qui nous rendent capables de communications magiques entraînent chez les enfants des retards de langage parfois importants, chez les ados de graves dépendances, chez les adultes des dépressions par isolement social et chez les âgés une entrée précoce dans la maladie d’Alzheimer. P.261

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Infos de l’éditeur :

Date de parution : 2024
Auteur : Elodie Dupuis
Editeur :
Prix : 19 €

Moby Dick, une pièce immersive et puissante à ne pas manquer au Lucernaire

Tout sent les embruns, le hareng saur et le roulis sur la scène Lucernaire dans la salle Paradis pendant la représentation du Moby Dick adapté du chef d’œuvre de Melville paru en 1851. 4 comédiens accueillent les spectateurs pour appareiller au son de chants de marins forts et mélancoliques composés originellement pour rythmer et synchroniser le travail en équipe. Benjamin Bouzy (Ismael), Fabien Floris (Capitaine Achab), Pascal Loison (second Starbuck et rôles divers sous différents accoutrements) et le géant Kevin Poli (divers rôles) ont le cheveu gras et des visages burinés, les vraies gueules de l’emploi pour figurer l’équipage du baleinier Pequod, condamné à suivre la folle lubie d’un capitaine décidé à se venger du cachalot blanc Moby Dick qui lui a blessé la chaire et l’âme. La pièce passe dans un souffle tant sa densité colle les spectateurs au siège et fait voyager dans un récit unique. Et comme souvent, l’économie de moyens suffit à échafauder un voyage plein d’esprit, ils sont forts au Lucernaire.

Une pièce comme un écueil

La Compagnie Les Vagabonds a déjà été récemment à l’œuvre pour une mémorable adaptation de L’Alchimiste de Paulo Coelho dans ce même Lucernaire. Le changement de décor est total avec non plus une fable aux accents universels mais un récit de lutte acharnée et illusoire d’un homme blessé contre le destin. Car personne ne se soulève contre les décisions du Capitaine Achab, il a l’œil mauvais et la patte folle, le gosier aride et le bras sûr. Il cherche à harponner lui-même le géant des mers souvent introuvable sauf pendant quelques rares et temporaires remontées à la surface. C’est le jeune Ismael qui raconte l’histoire. Attiré par la mer et le large, le jeune homme sera le seul rescapé de la funeste rencontre entre le Pequod et son destin. La pièce distille savamment des éléments de dramaturgie, alternant entre plages d’humour et obstination funeste. Des effets artisanaux sont utilisés avec bonheur pour figurer la tempête ou la houle. Les spectateurs se retrouvent littéralement sur le baleinier à côtoyer des hommes prêts à se sacrifier pour leur maitre à penser. Les 4 comédiens rentrent et sortent de scène, se dispersent dans le public, s’assoient sur des caisses de bois, montent sur le toit du baleinier dans une scénographie dynamique appuyée par une bande son qui figure les ambiances dans un voyage appelé à marquer la saison théâtrale. Pas besoin d’une scène immense, d’accessoires nombreux ou d’une troupe pléthorique pour faire revivre cette histoire au symbolisme si puissant où la lutte entre Achab et Moby Dick symbolise celle du Bien contre le Mal. L’orgueil du capitaine, à qui Moby Dick a arraché la jambe, et sa quête de vengeance le mèneront à sa perte. Les personnage cherchent la renommée qu’ils pourrait tirer à vaincre le cachalot, sans comprendre pourtant que la lutte est illusoire, car le monstre est surtout présent dans l’esprit du capitaine et rien ne pourra le libérer de lui-même, si ce n’est dans un prévisible trépas.

La pièce Moby Dick au Lucernaire est un vrai incontournable de la saison théâtrale par son intensité et le jeu puissant des comédiens. Le respect du texte est total, la salle ressent des frissons tout du long, de quoi appeler le plus grand nombre possible à venir s’extasier devant cette grande performance théâtrale.

Synopsis:

VOYAGE AU COEUR D’UNE OBSESSIONNELLE VENGEANCE

Moby Dick, formidable roman d’aventure, raconte l’histoire d’une obsession : depuis qu’un féroce cachalot a emporté la jambe du capitaine Achab, celui-ci le poursuit sans relâche de sa haine et de sa fureur.
Il entraîne à son bord des marins pris peu à peu dans le tourbillon de cette folle vengeance.
Dans ce récit captivant, drôle et rempli d’une étrange sagesse, Melville pose les grandes questions de l’existence humaine et inscrit dans la mémoire des hommes un nouveau mythe : celui de la baleine blanche. La nouvelle création de la compagnie Les Vagabonds vous embarque entre cauchemar et réalité au coeur des océans, dans le fracas de leurs tempêtes, dans le tourbillon de l’âme humaine, dans l’affrontement final de l’homme et du grand Léviathan blanc.
Embarquez dans l’aventure, vous n’en sortirez pas indemne.

Détails:

Mardi < Samedi 21h | Dimanche 17h30

13 décembre au 3 mars 2024, Salle Paradis

Elaha, un beau film de femmes de Milena Aboyan, sortie en salles le 7 février 2024

Elaha est un film surprenant. Le personnage principal interprété par Bayan Layla vit en Allemagne, elle est d’origine kurde et le poids des traditions est très important dans cette communauté. Alors qu’elle doit se marier, un test de virginité est demandé par la future belle-famille, ce qui ne va pas sans lui poser des problèmes de conscience. Le récit tient en haleine tout du long dans un film attachant qui amène à la question centrale: une femme peut-elle rester elle-même dans un monde de traditions?

Une héroïne très actuelle

Elaha vit dans une famille d’origine kurde. Son père au chômage, c’est sa mère qui fait vivre la famille. Elaha cumule études et travail au pressing pour aider à apporter quelques subsides à la maisonnée. L’ambiance est des plus pesantes, le mère est sensible à l’image renvoyée à l’extérieure, rappelant à tout bout de champ sa peur d’une possible honte suscitée par un comportement selon elle mal avisé. Mais Elaha est une jeune femme aux désirs bel et bien présents. Alors quand la perspective du mariage soutenu par sa famille se rapproche, elle se pose la question de ses envies à elle. Veut-elle vraiment se marier? Cette union est-elle sa décision ou celle de sa mère? La réalisatrice Milena Aboyan pose la question de l’autodétermination avec acuité au sein d’une communauté très présente en Allemagne. Les copines délurées, le petit frère atteint d’une pathologie invalidante, le film accumule les détails qui font s’attacher au personnage principal. Car elle se sent seule face à ses interrogations et c’est une prof qui va lui ouvrir les yeux sur elle et son avenir. Car seule, elle ne sait pas quoi penser. Elle envisage une opération de reconstruction de l’hymen, elle réfléchit même à l’utilisation du produit VirginiaCare conçu pour aider les femmes en détresse à simuler leur prétendue virginité à l’aide de capsules de faux sang, mais ce n’est pas la solution pour elle. Le film montre un cheminement vers l’acceptation de ses propres désirs dans un monde qui fait tout pour les juguler. La réalisatrice Milena Aboyan est née kurde yézidie en Arménie en 1992. Elle a commencé une formation sur 4 ans en Allemagne en 2010 pour devenir actrice. Au cours de ce programme, elle a joué dans plusieurs pièces de théâtre et après avoir obtenu son diplôme, elle a changé de discipline pour commencer à se concentrer sur l’écriture. Son dernier film Elaha à la Filmakademie a reçu le Kaiju Cinema Diffusion Prize au Festival du film de Locarno.

Le film raconte l’histoire d’une jeune femme qui certes veut respecter sa culture et ses traditions mais doit surtout se convaincre de son indépendance d’esprit. Le film sort le 7 février en salles pour un beau moment de cinéma.

Synopsis: Elaha, une jeune femme d’origine kurde de 22 ans, cherche par tous les moyens à faire reconstruire son hymen pensant ainsi rétablir son innocence avant son mariage. Malgré sa détermination, des doutes s’immiscent en elle. Pourquoi doit-elle paraître vierge, et pour qui ? Alors qu’un dilemme semble inévitable, Elaha est tiraillée entre le respect de ses traditions et son désir d’indépendance.

Une BD immanquable avec The Velvet Underground, Dans l’effervescence de la Warhol Factory, sortie le 7 février aux éditions La Boite à Bulles

La BD débute en 1987 alors qu’Andy Warhol vient de disparaitre. Suit alors un long récit depuis 1959 pour suivre les destins croisés des membres du groupe mythique The Velvet Underground. Des séances d’électrochocs subis par le jeune Lou Reed pour le guérir de ses tendances homosexuelles à l’isolé John Cale dans un Pays de Galles endormi, la BD raconte tout sans œillères. Les futurs musiciens d’un des plus grands groupes de rock du monde se cherchent, expérimentent et gardent toujours leur intransigeance comme ligne directrice. Viennent les rencontres avec Sterling Morrison et Moe Tucker jusqu’à la rencontre décisive en 1965 avec Andy Warhol au Café Bizarre et leur association fructueuse. C’est tout un pan de la légende du Velvet qui est exposée, dans un déroulé très didactique qui dissèque les différentes phases pour en faire ressortir le génie du groupe. Andy Warhol leur adjoint la chanteuse allemande Nico et le train se met en marche. La BD raconte une histoire aux détails mal connus pour mettre en avant les difficultés et les efforts consentis par le groupe pour en sortir plus forts. La plongée est passionnante et donne envie de réécouter les albums du groupe, un bon signe. Entre paroles agressives et sonorités abrasives, la musique du groupe The Velvet Underground a changé la face du rock, comme le montre bien cette BD richement documentée, aux dessins précis et au rythme continu.

Synopsis: L’histoire tumultueuse du Velvet Underground, le groupe de rock américain qualifié de « plus influent de notre époque » par le New York Times.

Issu de l’emblématique scène artistique du New York de la fin des années 60 et porté par l’esprit brillant et indompté de ses membres fondateurs, Lou Reed et John Cale, le Velvet Underground compte aujourd’hui parmi les légendes du rock… Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Nés sur les deux bords de l’Atlantique, l’un au Pays de Galles et l’autre à Long Island, John et Lou fuient des environnements familiaux nocifs, portés par une même soif de liberté. Réunis par un producteur cupide qui les abandonnera aux premiers remous, les deux marginaux entament une collaboration amicale et artistique qui bouleversera les codes de leur époque.

Du vol de bois pour se chauffer à la Andy Warhol Factory – où le groupe devient un l’objet d’affections mondaines – en passant par l’effritement de l’entente créative de Cale et Reed dans un mélange de jalousie et de paranoïa, l’histoire des Velvets est aussi audacieuse, stimulante et passionnante que leur musique.

Le bédéaste new yorkais Koren Shadmi déploie tout son art pour nous donner à appréhender les parcours de vie et les trajectoires créatives de ce duo – et de leurs comparses – qui ont révolutionné la musique rock et bousculé la société américaine puritaine…

Editeur: La Boite à Bulles

Auteurs: Koren Shadmi

Nombre de pages / Prix: 192 pages / 26 euros

Une vrai bonne BD d’espionnage avec Le dictateur et le dragon de mousse aux éditions La Boite à Bulles, sortie le 7 février 2024

Fabien Tillon et Fréwé mettent en bulles une histoire incroyable mais vraie, celle d’un réalisateur star en Corée du Sud et de son ex-épouse actrice enlevés par le régime nord-coréen dans le but de mettre en scène des films à la gloire du régime. Dans une ambiance oppressante, le destin de ces 2 personnages est racontée avec brio, des premiers temps de la rupture jusqu’à l’extraction finale dans une capitale autrichienne parfaite dans le contexte de la BD. Dans une ambiance très guerre froide, l’histoire se raconte sous forme de flashback avec son lot de paranoïa, d’écoutes secrètes et de tentatives d’échapper à la prison dorée mise en place par un régime corrompu décidé à donner une bonne image de lui-même à l’étranger par l’entremise de films à sa gloire. Le rythme est constant et la BD se joue entre thriller et espionnage avec comme contexte une Corée du Nord jamais à court de coups tordus pour redorer son image à l’étranger.

Synopsis: L’histoire « incroyable mais vraie » de deux vedettes de cinéma enlevées par la Corée du Nord pour réaliser des chefs-d’œuvre et auréoler la dictature d’un prestige international.

Hong-Kong, 1978. Le metteur en scène et producteur Shin Sang-ok – star en Corée du Sud bien qu’en délicatesse avec la junte nationaliste et conservatrice au pouvoir – est à la recherche de son ex-épouse, Choi Eun-hee, qui a disparu depuis plusieurs semaines dans la mégalopole anglo-chinoise. Bien que divorcé, il est resté très lié à elle. Quand il pense avoir retrouvé sa piste, il tombe en fait dans un guet-apens et se retrouve enlevé à son tour.

Quand il revient à lui, il se trouve en résidence surveillée en Corée du Nord, obligé de suivre des cours d’éducation politique. Comme de nombreux autres artistes japonais, chinois ou coréens avant lui, il a été enlevé pour servir la Patrie du Socialisme. Ses tentatives d’évasion se soldent toutes par des échecs patents au cours desquels il risque sa vie.

En février 1983, enfin, on l’extrait de sa résidence pour l’amener rencontrer Kim Jong-il et retrouver son ex-épouse, Choi Eun-hee. Avec des moyens quasi illimités, le guide suprême leur demande de réaliser des films qui marqueront l’Histoire du cinéma…

Sur la base d’une histoire – incroyable mais – vraie, Fabien Tillon et Fréwé mettent en scène un thriller captivant, retracent des destinées hors du commun et reconstituent l’univers incroyable d’une des dictatures les plus isolées du monde, mais pourtant soucieuse de son prestige culturel à l’étranger.

Editeur: La Boite à Bulles

Auteurs: Fabien Tillon, Fréwé

Nombre de pages / Prix: 144 pages / 22 euros

« Rohtko », le théâtre augmenté de Łukasz Twarkowski à l’Odéon – Ateliers Berthier

« Rohtko », le théâtre augmenté de Łukasz Twarkowski à l'Odéon - Ateliers Berthier
Rohtko © Artūrs Pavlovs

« Rohtko », le théâtre augmenté de Łukasz Twarkowski à l’Odéon – Ateliers Berthier

C’est à partir d’une réflexion autour de la valeur de l’art – financière et/ou esthétique – et de la distinction entre original et copie (qui dépasse le seul artiste Rothko) que s’articule le spectacle imaginé par Łukas Twarkowski, qui a longtemps travaillé aux côtés de Krystian Lupa comme assistant metteur en scène ou collaborateur artistique sur « Salle d’attente » ou « Perturbation ».

Depuis une dizaine d’années, il signe en Pologne et dans les pays baltes des productions de théâtre total particulièrement spectaculaires et ambitieuses, mais c’est la première fois que son travail est présenté en France.

Rohtko (avec une faute d’orthographe volontaire !), créé en Lettonie avec des acteurs lettons, polonais et chinois, s’inspire à la fois de la vie du grand peintre américain Mark Rothko et d’un incroyable scandale de contrefaçon qui a bouleversé le monde de l’art il y a une douzaine d’années avant d’en arriver aux récentes formes d’art digital et de « crypto-art ».

Une mise en scène spectaculaire et percutante 

En 2004, un tableau de Mark Rothko, « Untitled », 1956, est vendu par une célèbre galerie d’art new-yorkaise à un couple de collectionneurs pour plus de huit millions de dollars. Sept ans plus tard, on découvre qu’il s’agit d’un faux – un Rohtko. C’est Pei-Shen Qian, un artiste chinois devenu professeur de maths dans le Queens, qui l’a peint dans son garage, avec quelques autres Pollock et De Kooning.

Un tableau falsifié peut-il encore nous émouvoir ? Quelle est l’importance des originaux à l’heure des NFT et des blockchains ? Qui décide de la valeur d’une œuvre d’art ? À quel point un artiste est-il libre ? Qu’est-ce que l’art, en fin de compte ? Quelle est l’importance de l’art – quelle est l’importance de la vie elle-même – maintenant que les réalités virtuelles existent ?

Sans oublier le concept chinois de shanzai qui sert aussi de fil rouge à l’intrigue et consistant à nier la division traditionnelle entre copie et original, marquant une différence capitale avec l’Occident.

Ce sont toutes ces questions qui traversent ce spectacle de quatre heures dans une mise en scène spectaculaire et percutante. Car ici ce ne sont pas les dialogues qui importent mais les images et leur illusion sensorielle, confusionnelle.

A l’abri d’effets visuels, cinématographiques et sonores foisonnants et/ou tonitruants qui superposent la temporalité et les lieux d’action, démultiplient les points de vue, le dispositif scénique embarqué et impressionnant brouille les frontières entre le réel et la fiction, faisant écho à la relation trouble qui se joue entre l’original et le faux (sa confusion) et sa nouvelle représentation dans un environnement virtuel et ultra-capitaliste.

Emmené par une distribution de haut vol, chacun des comédiens dessine sa partition et interagit entre le kaléidoscope augmenté, déroulé sur scène, de l’art physique et virtuel, ou l’art dupliqué. Bravo !

Dates : du 31 janvier au 9 février 2024 – Lieu : Ateliers Berthier (Paris 17ème)
Metteur en scène : Łukas Twarkowski

“La Mouette” de Brigitte Jaques-Wajeman, un vol captivant

“La Mouette” de Brigitte Jaques-Wajeman , un vol captivant
Crédit / Copyright : ©GillesLeMao

“La Mouette” de Brigitte Jaques-Wajeman, un vol captivant

Dans La Mouette, Anton Tchekhov (1860-1904) fait de l’art et de l’amour le terrain de prédilection des passions inaccomplies et des désillusions.

Celles notamment de Nina, une jeune fille qui rêve d’être actrice mais dont la vocation sera détruite par une trahison amoureuse, ou celles de Constantin Treplev, épris de Nina qui en regarde un autre. Treplev est un jeune auteur épris d’absolu en quête de reconnaissance et de l’amour d’Irina, sa mère, comédienne célèbre, qui le méprise ouvertement et n’a d’yeux que pour l’écrivain en vogue, Trigorine, son amant.

Il y a Trigorine qui représente un art conventionnel, souvent auto-satisfait, un art reconnu mais qui manque cruellement de radicalité, de liberté et sans doute de passion, à l’inverse de celui de Constantin qui se cherche, ne connaissant pas les lois, les règles de la scène, du théâtre, de la narration, mais qui veut révolutionner le théâtre, témoigner d’un engagement, au risque d’être ridicule, superficiel et dérisoire dans son art.

Comment vivre ?

Une rivalité qui embrasse alors une expérience humaine avec ses non-dits et ses conflits intérieurs, où le spectacle donné par Treplev devant ses proches qui se transforme en un manifeste pour un théâtre avant-gardiste, est fustigé par sa mère. Et si les liens intimes et la condition d’artiste sont mis à mal, l’amour y est aussi compliqué : l’instituteur aime Macha qui aime Constantin qui aime Nina qui aime Trigorine, lequel fait semblant d’aimer Arkadina.

Entre frustrations et acte manqués, chacun des protagonistes est suspendu à un flot continu d’espoirs et de renoncements. Un condensé de vie où Brigitte Jaques-Wajeman scrute avec finesse les abîmes indicibles et les fuites avortées.

Sur le plateau, l’abstraction est de mise avec comme décor un tréteau nu, constitué de billots de bois brut, qui donne sur un ciel immense, représenté par un tableau, dont les variations lumineuses scandent le déroulement des quatre actes de la pièce. Une scénographie à l’épure parfaite qui télescope le dedans et le dehors, l’ici et l’ailleurs, propice à une temporalité aux prises avec la vie et ses méandres.

Portée par la traduction enlevée de Gérard Wajcman, « La Mouette » résonne dans le présent où les protagonistes se confrontent au réel.

Des notes de musique traversent la pièce, cristallisant le spleen des personnages et leur empêchement à être, alors que gronde au plus profond d’eux-mêmes un désir de vivre enfin…

Ardent, sensible, désespéré, Raphaël Naasz est magnifique dans le rôle de Treplev dont il porte de tout son être, la fureur et la blessure de vivre. Ses partenaires ne sont pas en reste où chacun dessine sa partition dans un mouvement à l’unisson et donne à cette « Mouette » toute sa dimension symbolique et sacrificielle. Bravo !

Dates : 31 janvier au 11 février 2024 – Lieu : Théâtre de la Ville – Les Abbesses (Paris)
 Mise en scène : Brigitte Jaques-Wajeman

Sortie du thriller Lost in the night en DVD le 6 février pour une intense plongée dans l’enfer de la société mexicaine

Le réalisateur Amat Escalante n’est pas un débutant. Il a déjà réalisé le film Heli en 2013, prix de la mise en scène à Cannes, Los Bastardos en 2009 et les épisodes 5 et 6 de la première saison de la série Narcos : Mexico. Son nouveau Lost in the night est un gros choc, un thriller social palpitant qui fait plonger au centre d’un Mexique violent – police et gangsters -, corrompu – du pain béni pour les trafiquants – et marqué par les inégalités. La richesse du scénario est un point fort avec un ton entre satire noire de la société mexicaine et critique de ses avanies actuelles (poids disproportionné des réseaux sociaux, excès de l’art contemporain). Le film traite du cadre global de la société mexicaine dans un contexte de thriller policier tendu et efficace, l’enquête va de surprises en surprises Le personnage bouleversant d’Emiliano est incarné par l’intense acteur mexicain Juan Daniel García Treviño. A ses côtés, l’actrice espagnole Ester Expósito aperçue dans la série Elite incarne une influenceuse ambiguë. La photographie de Lost in the night est très soignée avec une palette de couleurs percutante, souvent dans un contexte nocturne. Les plans aux abords d’un lac, des paysages désertiques, des plans de ciel à perte de vue, la nature prend une place importante en contrepoint de scènes de violence full frontal à l’effet percutant sur le spectateur, c’est même ce qui est le plus marquant dans le film pour une vision très noire de la société mexicaine. Le film est visible le 6 février 2024 avec sa sortie en DVD ! Le film sera accompagné en bonus d’un entretien avec le réalisateur Amat Escalante.

Synopsis: Dans une petite ville du Mexique, Emiliano recherche les responsables de la disparition de sa mère. Activiste écologiste, elle s’opposait à l’industrie minière locale. Ne recevant aucune aide de la police ou du système judiciaire, ses recherches le mènent à la riche famille Aldama.

Les Travailleurs de la mer, un vrai choc tellurique à découvrir sur la scène du Lucernaire

Le Lucernaire aime les challenges, le comédien Elya Birman apparemment aussi, car Les Travailleurs de la mer est un vrai choc de théâtre. La pièce est intense, le récit est poignant, l’histoire de Gilliatt, un homme qui à l’instar de Sisyphe doit se battre contre les éléments pour accomplir son destin et secourir une épave menacée d’ensevelissement sous les flots. L’illustre Victor Hugo imagine une histoire qui confine à l’universel et la mise en scène organique de Clémentine Niewdanski est au diapason de la dureté du récit. Le public de la salle Paradis est resté coi devant l’intensité de la pièce.

Une pièce physique

Le contexte est posé dès le départ. Le rustre pêcheur Gilliatt est secrètement épris de la belle Déruchette. Quand le navire à vapeur La Durande s’échoue sur un écueil, le propriétaire du navire Mess Lethierry promet de donner la main de sa nièce Déruchette à celui qui récupérera la machine de l’épave coincée entre les deux rochers de l’écueil Douvres au large de Guernesey. Ni une ni deux, Gilliatt se propose pour réaliser l’impossible, seul contre les éléments, réussissant à récupérer la machine, résistant à la faim, à la soif, à l’épreuve physique, allant jusqu’à combattre une pieuvre belliqueuse. Mais même en ayant réussi sa mission, Gilliatt s’aperçoit à son retour que Déruchette s’est éprise en son absence du jeune pasteur Ebenezer, et que celui-ci l’aime en retour. Gilliatt doit se sacrifier et s’effacer pour le bonheur de Déruchette. Les Travailleurs de la mer est un roman de Victor Hugo écrit à Hauteville House durant l’exil du poète dans l’île anglo-normande de Guernesey et publié en 1866. Le rythme est pesant, le héros Gilliatt doit se battre contre le destin et les éléments, le comédien transmet la souffrance du personnage avec énormément de conviction, il s’ébroue sur scène, il s’époumone, il transbahute le décor, le jeu de lumières concourt à l’abysse existentielle vécue par le pêcheur malheureux. Les spectateurs voient un navire faire de bric et de broc à leur arrivée en salle, tous ses éléments serviront à construire les péripéties du récit, laissant un vrai chantier sur scène à son aboutissement.

L’adaptation est viscérale, le moment de théâtre est éreintant, les spectateurs sortent fourbus de la salle, heureux d’avoir vécu une expérience unique avec un comédien finalement souriant et copieusement applaudi, à découvrir absolument au Lucernaire jusqu’au 17 mars 2024.

Synopsis:

SEUL AU COEUR DE LA TEMPÊTE

Prodigieux chef d’oeuvre de Victor Hugo, ce seul en scène est le récit éblouissant d’un homme poussé au-delà de ses limites. Gilliatt, personnage étrange et isolé, aime en secret une jeune fille à qui il n’a jamais osé parler, et cet amour semble impossible. Un navire fait naufrage. Son propriétaire promet la main de la jeune fille à qui sauvera le bateau. Gilliatt se précipite alors en pleine mer, où la tempête fait rage, pour tenter de secourir l’épave… C’est le début d’une aventure aux périls les plus extrêmes. Véritable performance d’acteur, ce spectacle est une plongée vertigineuse au coeur de la nature humaine et des mystères du monde.

« Ils disaient personne n’ira, c’est impossible… Alors j’y suis allé. »

Détails :

Mardi < Samedi 19h | Dimanche 15h30

24 janvier au 17 mars 2024

Tous français d’ailleurs, Douze histoires, cent ans d’immigration (Casterman poche)

Tous français d’ailleurs, Douze histoires, cent ans d’immigration (Casterman poche)

Les éditions Casterman poche nous proposent une petite pépite : Tous français d’ailleurs, Douze histoires, cent ans d’immigration.

Le lecteur va découvrir douze vies. Douze enfants et leur famille. Douze histoires chargées d’Histoire.

Reem dans la brume : Reem est avec sa famille sur une plage turque et leur rêve est d’atteindre l’île grecque de Chios, la porte de l’Europe. Pour échapper aux bombes de son pays, la Syrie. Il faut traverser 12 km en mer. Et on sait comme la mer est devenue un cimetière pour tant de personnes qui fuient leur pays. Reem raconte sa terrible traversée en zodiac, de nuit.

Antonio ou la résistance : Juin 1939. Le père d’Antonio est interné dans le camp des hommes à Argelès sur Mer. Un héros, son père. « Ces hommes, on dirait des prisonniers, mais ce sont des soldats, les miliciens vaincus de la République espagnole ». P23
Son but : combattre Franco. Par tous les moyens…

On va aussi découvrir la vie de Leïla qui quittera l’Algérie avec sa famille pour s’installer à Billancourt. Puis, celle de Thiên An, vietnamien, installé à Paris… Et celles d’Adama, Lyuba, Anouche, Jacek, Angelica, Joao, Chaïma, Ning. Des histoires qui font froid dans le dos.

Chaque héros de ce livre a été obligé de quitter son pays, en catastrophe, pour rejoindre la France. Seul moyen de rester en vie. Ils ont tous risqué leur vie à faire ce long voyage dans des conditions excessivement difficiles. Et leurs installations en France ne furent pas faciles du tout. Encore un autre combat. Mais tous sont devenus français et ont offert à la France leurs richesses, leurs cultures, leurs diversités et leurs résiliences.
Quelle leçon de vie !

Tous français d’ailleurs est un livre à mettre entre toutes les mains. Un livre qui va recentrer le problème de l’immigration. Chaque immigré est un héros. Un livre qui raconte cent ans d’immigration. Notre livre coup de cœur !

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Infos de l’éditeur :

Date de parution : Janvier 2024
Auteur : Valentine Goby
Illustrateurs : Philippe de Kemmeter, Ronan Badel
Editeur : Casterman
Prix : 8,95 €

Eternelle féérie Casse Noisette au Palais des Congrès

Comme tous les ans, le spectacle féérique de Noel passe au Palais des Congrès. Après 2022, 2023 et 2020, le ballet mis en musique par Tchaïkovski revient enchanter un public nombreux venu remplir la gigantesque salle pour des salves d’applaudissement régulières ponctuant les performances athlétiques de danseurs et danseuses en état de grâce. L’histoire de Clara est connue, son Casse noisette offert à Noel s’anime pour livrer bataille contre l’armée des rats avant qu’ils vivent une romance entre rêve et réalité. C’est la troupe de danseurs de l’Opéra Ballet d’Etat d’Astrakhan qui livre des numéros dansés prodigieux, accompagnés par l’Orchestre de l’Opéra National de Russie dans une communion musicale inoubliable. Encore deux représentations disponibles les 1 et 2 février à 20h, car les places sont parties rapidement, et pour cause, la musique, la danse, les décors, les costumes, tout concourt à donner un maximum de plaisir aux spectateurs.

Synopsis:

Un soir de Noël, la jeune Clara se voit offrir un casse-noisette, pantin inanimé qu’elle tient dans ses bras avant de sombrer dans un profond sommeil. Elle plonge alors dans un rêve étrange où soldats de plomb, rats et chauve-souris se livrent bataille. Guidée par son petit hussard de bois, devenu prince charmant, Clara affronte ses peurs et ses doutes comme autant de sentiments nouveaux et inconnus.

La magie est au rendez-vous avec ce classique de Tchaïkovski interprété par l’Opéra National de Russie – Opéra Ballet d’État d’Astrakhan ! Casse-noisette, ballet en deux actes, fut présenté pour la première fois en décembre 1892 au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Le spectacle proposé par le Palais des Congrès est l’occasion de (re)découvrir la célèbre musique du compositeur. Un moment magique pour petits et grands !

Le spectacle Casse-Noisette est référencé dans notre rubrique Opéras / Ballets-Danse.

Un documentaire les yeux dans les yeux avec Les prières de Delphine, sortie en salles le 31 janvier 2024

Delphine est assise en tailleur sur un lit défait, son visage est face caméra pour échanger avec Rosine Montgo Mbakam et raconter son existence cabossée. Elle parle sans œillères, tous les mots qui sortent de sa bouche semblent attendre d’être divulgués à une oreille amie. Leur amitié dure depuis 14 ans, toutes deux camerounaises débarquées à Bruxelles. L’une a eu la chance de s’inscrire dans une école de cinéma, l’autre a suivi un mari belge rencontré au pays. Elles connaissent toutes les deux la violence d’un monde qui les a accueilli du bout des lèvres. Tous deux ont ont ri et pleuré ensemble, elles se sont moquées des péripéties de leurs existences, le film est un documentaire vibrant qui raconte les souffrances de la femme africaine. Delphine a choisi de tout partager avec Rosine car elle a confiance et connait le patient travail politique mis en place par la documentariste à travers son œuvre. Rosine traque et déconstruit les idées préconçues et souligne la place centrale des femmes trop peu souvent interrogées pour livrer leur vision de l’histoire.

Publireportage:

Rosine Montgo Mbakam est née au Cameroun en 1980. Après une formation en audiovisuel, elle travaille 4 ans pour la chaîne privée STV (Spectrum Télévision) à Douala. En 2007, elle quitte le Cameroun pour suivre une formation à la réalisation à l’INSAS (Bruxelles). Son diplôme en poche, elle propose en 2012 un premier court métrage de fiction « Tu seras mon allié » et coréalise avec Mirko Popovitch un portrait de l’artiste congolais Freddy Tsimba « Mavambu ». Elle fonde en 2014, avec Geoffroy Cernaix, Tândor Productions et réalise en 2016 « Les Deux visages d’une femme Bamileke », son premier documentaire de création, sélectionné dans une soixantaine de festivals, « Chez Jolie Coiffure » en 2018 remporte plusieurs prix et enfin « Les prières de Delphine » en 2021 fait sa première à Cinéma du réel.

Synopsis: Les Prières de Delphine est le récit de l’arrivée d’une jeune camerounaise en Belgique. Peu à peu, au fil des confidences, se dessine le portrait implacable d’une génération de femmes sacrifiées, perdues dans le rêve d’un monde meilleur en Europe.

Un documentaire sur une ferme à travers les âges avec La ferme des Bertrand, sortie le 31 janvier 2024

Le documentaire La ferme des Bertrand a été tourné à Quincy sur la commune de Mieussy en Haute-Savoie, dans la vallée du Giffre, entre juillet 2022 et janvier 2023. Le réalisateur est parti d’un témoignage particulier et en a tiré un documentaire touchant à l’universel en se basant sur l’évolution des pratiques du monde agricole.

Un regard sincère sur la France d’hier et d’aujourd’hui

L’histoire débute au cœur de la Haute Savoie en 1972 dans une exploitation laitière pourvue d’une centaine de bêtes tenue par 3 frères célibataires. C’est à eux que le réalisateur Gilles Perret consacre en 1997 son premier film. 25 and plus tard, le réalisateur a repris sa caméra pour voir ce que sont devenus ceux qui ont repris la ferme, le neveu Patrick et sa femme Hélène. Eux aussi vont passer la main pour faire perdurer la ferme familiale. Dans un film qui montre la place centrale du travail et de la transmission dans la vie des Bertrand, le film se concentre à la fois sur la place de la famille, la place particulière des agriculteurs dans notre société et l’importance de l’économie pour faire perdurer les exploitations agricoles. Les documentaires de Gilles Perret s’intéressent toujours à des sujets à dimension sociale et agricole pour évoquer des sujets touchant de près les problématiques de la MSA, l’organisme de Sécurité sociale agricole. Le film montre également l’importance des changements que vivent l’agriculture et les agriculteurs depuis plusieurs décennies. Il est facile d’imaginer la difficulté de reprendre une ferme et de se mettre à gout du jour dans les installations techniques et l’organisation d’une exploitation. Lui-même voisin de la famille Bertrand, Gilles Perret en profite pour montrer l’évolution du métier d’agriculteur. Le documentaire montre les techniques d’autrefois au regard des techniques d’aujourd’hui avec la robotisation à outrance, mais également l’évolution des modes de vie et l’impact sur l’organisation et le temps de travail. Le film démontre aussi l’impact sur le territoire de l’évolution du métier d’agriculteur avec l’augmentation de nouveaux habitants et l’attrait touristique à toutes saisons qui encourage les constructions (logements, hôtels, commerces …) et par conséquent, la diminution des terres à cultiver.

Le documentaire La ferme des Bertrand est passionnant et met en avant le sens du sacrifice des oncles qui ont tout fait pour la survie de la ferme familiale en mettant au centre l’héritage du métier sur plusieurs générations.

Synopsis: 50 ans dans la vie d’une ferme… Haute Savoie, 1972 : la ferme des Bertrand, exploitation laitière d’une centaine de bêtes tenue par trois frères célibataires, est filmée pour la première fois. En voisin, le réalisateur Gilles Perret leur consacre en 1997 son premier film, alors que les trois agriculteurs sont en train de transmettre la ferme à leur neveu Patrick et sa femme Hélène. Aujourd’hui, 25 ans plus tard, le réalisateur-voisin reprend la caméra pour accompagner Hélène qui, à son tour, va passer la main. A travers la parole et les gestes des personnes qui se sont succédé, le film dévoile des parcours de vie bouleversants où travail et transmission occupent une place centrale : une histoire à la fois intime, sociale et économique de notre monde paysan.

« Poquelin II » ou Molière en flamand dans le texte par les Tg Stan !

« Poquelin II » ou Molière en flamand dans le texte par les Tg Stan !
Crédits : © kurt van der elst

« Poquelin II » ou Molière en flamand dans le texte par les Tg Stan !

Le collectif flamand tg STAN connaît bien l’œuvre de Molière. En 2003, il créait Poquelin, un spectacle qui puisait son matériau dans plusieurs pièces du génie comique du 17e siècle : Le Médecin malgré lui, Sganarelle et Le Malade imaginaire. Selon le même procédé, il récidive aujourd’hui avec Poquelin II, un montage de passages empruntés au Bourgeois gentilhomme (1670) et à L’Avare (1668).

Dans ces deux pièces, Molière pointe l’inanité de quêtes ridicules : celle de M. Jourdain, un bourgeois aisé et vaniteux — un nouveau riche, dirait-on aujourd’hui —, qui multiplie les efforts pour imiter le style de vie de la noblesse ; celle d’Harpagon, à ce point obsédé par l’argent qu’il se mue en usurier et en tyran domestique prêt à sacrifier le bonheur de ses enfants. Autant d’absurdes petits arrangements financiers et moraux qui constituent le fil rouge du spectacle.

Un esprit de troupe en osmose totale avec le texte     

Malentendus, quiproquos, coups de théâtre, faux-semblants, ironie dramatique, sont à l’œuvre dans ce théâtre qui déborde de toute part et dont l’excès s’accorde à la marque de fabrique de la troupe : loufoque, irrévérencieuse, et déjantée. Le tout dans un art aussi dosé que maîtrisé.

Les comédiens belges s’en donnent à cœur joie, aguerris à l’esprit Moliéresque et à son sens du grotesque, propice à toutes les variations abracadabrantesques. Des situations plus folles les unes que les autres que le collectif s’approprie avec un art consommé du plateau et une distanciation décomplexée pour camper à l’envi ce vieil avare obsessionnel qui est aussi amoureux de la prétendante de son fils !

Une musicalité flamande 

Ou encore dans la mise en situation de ce Bourgeois gentilhomme et son apprentissage épique ! avec cette scène mémorable des voyelles à l’abri de son maître de philosophie qui offre un passage dadaïste où on le voit aux prises avec ce désir de revenir à la racine de la parole pour en réinventer la quintessence des choses…

En écho avec le monde d’aujourd’hui, le spectacle brocarde allègrement la bourgeoisie (bien fait !), la facticité et toutes les formes de vanité morale ou sociale. Sans oublier aussi un éloge vibrant du théâtre et du jeu où à partir d’un décor minimaliste de bric et de broc, Stijn Van Opstal, Bert Haelvoet, Damiaan De Schrijver, Jolente De Keersmaeker, Els Dottermans, Willy Thomas, et Jan Bijvoet partagent la scène, en équilibre précaire ce qui en fait le sel, et incarnent au total une quinzaine de personnages avec une prestance irrésistible.

Taillés sur démesure, les costumes accentuent encore la dimension carnavalesque de la farce échevelée qui, (très) loin de la plate fidélité à la lettre, rend l’esprit de Molière plus vivant, et mordant que jamais. L’accent flamand participe aussi au magnétisme de la satire, créant un léger décalage avec le texte initial et un rapprochement avec l’ici et maintenant aussi caustique qu’efficace. Un vrai régal. Bravo !

Dates : 1 et 2 février 2024 – Lieu : Théâtre La Piscine (Châtenay-Malabry)
Création collective : Tg Stan

[Manga] Yokohama Station Fable, tome 1 : récit S.-F. très original (Delcourt / Tonkam)

[Manga] Yokohama Station Fable, tome 1 : récit S.-F. très original (Delcourt / Tonkam)

Yokohama Station Fable est l’adaptation en manga d’un light novel S.-F. post apocalyptique, dans lequel une gare recouvre la quasi-totalité de l’île de Honshû depuis plus de 200 ans. Hiroto est un exilé qui n’a en principe pas le droit de pénétrer dans cette gare monstrueuse (comme presque toute l’humanité qui est obligée de vivre à l’extérieure de la gare dans une sorte de sous-monde). Mais Hiroto va accéder à un Ticket 18 qui, pour un court laps de temps, va lui permettre de s’aventurer dans les méandres de la gare. 

Un récit particulièrement original et inédit qui frappe par son atmosphère étrange et froide, où le temps semble très long. On parcourt cette gare pas à pas, à un rythme très lent. Le personnage principal manque quant à lui de relief dans ce premier tome introductif qui ne permet pas vraiment de conclure sur la qualité générale du manga.

Yokohama Station Fable n’a pas manqué de nous dérouter dans cette amorce d’histoire ! Difficile d’en dire plus.

Résumé de l’éditeur :

Cela fait maintenant 200 ans que 99 % de l’île de Honshû est recouverte par la gare de Yokohama. Mais le contrôle ne se fait malheureusement pas que par ce prisme…
La gare de Yokohama s’est agrandie au point de recouvrir 99 % de l’île principale du Japon. Seuls des heureux élus, à qui on a greffé une puce électronique, peuvent vivre dans l’intragare, et rares sont ceux qui habitent encore à l’extérieur. Hiroto, un exilé, a obtenu d’un mystérieux inconnu un « Ticket 18 » lui offrant un accès temporaire à l’intérieur. Mais il ignore encore que l’avenir de l’humanité est entre ses mains…

Date de parution tome 1 : le 3 janvier 2024
Auteurs
: Yuba Isukari, Gonbe Shinkawa, Tatsuyuki Tanaka (Scénario)
Tatsuyuki Tanaka(Dessin)
Genre : Seinen
Editeur : Delcourt
Prix : 8,50 €
Acheter sur : BDFugue

Hansel et Gretel, une irrésistible pièce pour la famille au Lucernaire

Le Lucernaire propose un nouveau spectacle ébouriffant pour les familles et les enfants. Le célébrissime conte des Frères Grimm est mis en scène par Benoit Lavigne pour effrayer gentiment les plus jeunes. Méchante sorcière, globes oculaires dans des bocaux, les rires fusent et suivent des mines quelque peu ahuries. Mais pas de crainte, les petits ne feront pas de cauchemar, ils se souviendront surtout de la chanson phare (pas de soirée pyjama, vraiment? 😀 ) et des nombreuses blagues qui émaillent ce beau moment de théâtre. La palme est évidemment décernée à Laurent Labruyère qui se pare d’une perruque du plus bel effet pour interpréter la méchante sorcière, multiplier les aphorismes et finir dans le four. A ses côtés, Lucas Bottini et Alice Serfati sont 2 héros pleins de vie et de malice, alors que Bérangère Gallot joue une truculente narratrice qui oriente l’histoire à travers les bois jusqu’à la célèbre maison en pain d’épices. Les mercredis, samedis et dimanches après-midi enchainent les pièces familiales pour des introductions parfaites à la magie du monde de théâtre. Bravo le Lucernaire!

Synopsis:

UN SPECTACLE APPÉTISSANT

À partir de 6 ans.

Hansel et Gretel vivent avec leurs parents à l’orée d’une forêt. La famine fait rage, les parents ne peuvent plus nourrir leurs propres enfants. La mère décide alors de les abandonner au fin fond de la forêt. Les enfants bien malins retrouvent leur chemin grâce aux petits cailloux semés dans la forêt. Malheureusement la chance ne se renouvellera pas. Au deuxième abandon ils se retrouvent perdus dans la forêt avant de tomber sur une maison de pain d’épice habitée par une terrible sorcière qui raffole des enfants bien croustillants…

Le célèbre conte des Frères Grimm revisité avec magie, poésie et drôlerie.

Création inédite à découvrir pour la première fois au Lucernaire.

Détails

13 septembre10 mars 2024 Théâtre Rouge

Mercredi et samedi 14h30 | Dimanche 14h

« Ils nous ont oubliés » : le grand geste de Séverine Chavrier

Ils nous ont oubliés" : le grand geste de Séverine Chavrier
© Christophe Raynaud de Lage

« Ils nous ont oubliés » : le grand geste de Séverine Chavrier

L’œuvre de Thomas Bernhard brûle d’une rage dévastatrice et se débat à la fois contre et avec le poids d’une culture empreinte de traditions, de chaos et de contradictions. Une hargne propre à dénoncer la persistance et le camouflage des réflexes et des tentations fascisantes, tout comme des traumas liés à l’histoire trouble du XXème siècle.

Un emportement verbal qui procède chez le dramaturge d’une impossibilité viscérale à supporter le monde tel qu’il va, et qui s’incarne dans une voix solitaire, qui butte et s’obstine, soutenue par le seul combat obstiné de l’artiste, jusqu’au risque de sa détestation et de son autodestruction.

C’est encore cette douleur ravageuse qui est à l’œuvre dans « Ils nous ont oubliés » où à travers un redoutable huis-clos s’explore toutes les névroses, frustrations et empêchements que provoque le couple et son enfermement mortifère.

Entre fureur et mélancolie

Le couple donc vecteur et métaphore de tous les traumas, de toutes les résurgences-fulgurances, de tous les maux qui consument et anéantissent l’âme.

La situation de départ est riche de contradictions : Konrad, un homme qui prépare un traité sur l’ouïe auquel il ne cesse de penser mais dont il n’a pas encore écrit un traître mot, vit reclus avec sa femme infirme dans une usine abandonnée, transformée par sa volonté en une véritable prison, à moins qu’il ne s’agisse d’un mausolée.

Le récit commence au moment où Konrad tue sa femme. Il se déroule ensuite à la manière d’une reconstitution menée par bribes par un narrateur invisible. Avec l’ironie cinglante qui fait son style, Bernhard y mène une réflexion brutale et jubilatoire sur ses thèmes de prédilection, où se mêlent l’intime et le politique : les affres de la condition humaine, le repli sur soi, les rapports de domination, de classe, et la création, ici son œuvre ultime qui finalement ne peut s’accomplir que dans la mort et qui emporte tout.

Folie d’un homme aux prises avec un enfer conjugal où ses certitudes et obsessions disent toute la tyrannie et l’incompréhension d’une intelligence mise à mal qui tourne à vide : miroir d’un monde en décomposition, tandis que le couple, dans un rapport sans cesse inversé de maître à esclave, s’affronte et se confronte à l’abri d’un isolement total et d’un véritable étouffement de la chair, propices à leur enfermement et solitude sacrificielle.

Un embrasement total

Dans ce jeu de miroir abyssal d’un couple à deux faces, le bruit et la fureur y sont partout, le ressassement aussi, et cette tension entre une foi inébranlable dans l’art, comme raison de vivre, et la tentation de l’absolu qui porte en elle le désastre.

De ce texte qui parle à la fois d’isolement et d’envahissement, du silence et du vacarme, du désir de créer et de l’impossibilité qui en résulte, d’amour et de mépris, Séverine Chavrier s’en empare avec un geste fort.

A l’abri d’un embrasement total, la metteuse en scène fait du son (percussions et musique jouées en direct) le cœur vibrant de cette plâtrière aux confins du monde dans laquelle Konrad s’est enfermé pour écrire un improbable traité sur l’ouïe. Les bruits viennent ainsi diffracter l’espace, le sculpter. A l’instar de la vidéo qui est composée comme une pièce de musique, avec ses rythmes, ses effets de profondeur, son alternance entre le mouvement et le plan fixe.

Sans jamais illustrer le récit, les images captent un autre angle, change les perspectives, mélange les échelles, brouille les frontières entre l’espace mental des protagonistes et leur environnement. Et façonne un univers dans lequel le vrai et le faux, le visible et l’invisible cohabitent.

Des arbres de sève et d’écorce viennent épaissir une forêt projetée en vidéo, des oiseaux vivants virevoltent autour d’animaux empaillés. Une étrangeté se fait jour où le réel et le factice se confondent en permanence.

Si la metteuse en scène prend quelques libertés avec le texte, par l’ajout de personnages comme celui notamment de l’infirmière, elle reste fidèle à l’esprit bernhardien et à son ton féroce, ironique et désespéré.

Et dans cette dévastation qui est à l’œuvre, les acteurs : Laurent Papot (Konrad), Marijke Pinoy (Madame Konrad), Adèle Bobo-Joulin (l’infirmière) sont des sentinelles qui tiennent de bout en bout la partition, soutenus par les improvisations d’un percussionniste et les spectres sonores qui envahissent les lieux, depuis le sous-sol jusqu’aux tréfonds de la vallée. Bravo !

Dates : du 16 janvier au 10 février 2024 – Lieu : Théâtre de la Colline (Paris)
Adaptation et mise en scène : Séverine Chavrier

Naya Pika, Tome 1, Shérif adjointe (Glénat)

Naya Pika, Tome 1, Shérif adjointe (Glénat)

Les éditions Glénat nous proposent le premier tome, très joliment illustré, de Naya Pika : Shérif adjointe.

Naya, petite indienne, et sa mère décident de faire une halte à espérance-Ville en plein Far West. On découvre Naya Mayo et ses pouvoirs magiques !

Mais attention, personne ne doit connaître son secret !

Son poney, Crotte-de-nez, ne la quitte jamais. Même quand elle va à l’école, il n’est jamais loin !

Des cambriolages ont soudainement lieu dans cette ville plutôt tranquille. Et c’est un ours qui en serait l’origine !

Naya va enquêter et vite découvrir ce qui se trame derrière cette chasse à l’ours !

Naya Pika : Shérif adjointe, tome 1, va enchanter nos jeunes lecteurs. Ils découvriront la suite des aventures de Naya, dans le tome 2, dès cet été !

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Infos de l’éditeur :

Date de parution : Janvier 2024
Auteur : Séverine de La Croix
Illustrateur : Thérèse Bonté
Editeur : Glénat
Prix : 11 €

Un concert vivifiant avec Armelle Yons au Café de la danse le jeudi 26 janvier 2024

Son récent premier album Mon secret mettait la puce à l’oreille, Armelle Yons est une artiste à suivre. Sa prestation au Café de la Danse le jeudi 26 janvier 2024 a été une belle confirmation. Eternel sourire aux lèvres, interventions pétillantes, la dame a de l’humour et de l’esprit, son charisme est évident et ses chansons parlent pour elle. La salle était pleine à craquer pour une Release party des plus réussies de son récent album Mon secret. Elle donne une interprétation très pop rock de ses titres accompagnée par son éternel groupe de soutien composé de Delphine Labey à la batterie, aux percussions et aux chœurs, Olivier Azzano à la guitare et à la basse, Paul Galiana à la guitare et Diabolo à l’harmonica. Performances impeccables dans une joie communicative, un plaisir à voir et à entendre. La chanteuse Stéphanie Acquette a lancé l’évènement accompagné d’une guitare électrique dont elle sort des sons stridents ensorcelants. Armelle Yons fait appel à quelques guests pour l’accompagner, le moment est beau, le public espère la revoir rapidement sur scène pour interpréter ses tubes Mon secret et Passe moi le cric.

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Après avoir interprété les grands classiques de la chanson française dans l’hexagone et à l’étranger, Armelle Yons ose et se réinvente.
L’écriture de ses propres textes, mis en musique par le duo La Bestiole, a donné naissance à «Mon secret», son premier album à paraître en 2024. Armelle y associe son amour des mots et cette énergie scénique qui est sa marque de fabrique. Un cabinet de curiosité musical où se mêlent le rock, la chanson et un certain esprit irrévérencieux issu du cabaret. À la ville comme à la scène, c’est probablement son énergie que vous remarquerez en premier. Armelle Yons est une artiste en mouvement. Une femme de son temps aussi, avec ses doutes mais qui ose. “Je ne revendique rien, j’invite…” nous dit-elle. Son premier album Mon secret est un disque de chansons françaises parfumées aux effluves rock, dans lequel elle réconcilie son amour des mots et cette vitalité scénique qui est sa marque de fabrique. Mon secret est né de la rencontre avec Delphine et Olivier du duo rock La Bestiole. Au cours d’un concert hommage à Jacques Higelin, ils se croisent et s’apprivoisent. C’est le coup de foudre artistique. Comme un aigle à 3 têtes, La Bestiole compose sur les textes d’Armelle. 12 chansons qui surprennent par leur très grande liberté de ton. Elle cite Soulages, Corto Maltese… héritage probable d’un passé aux Arts appliqués qui continue de l’influencer dans tout ce qu’elle entreprend. Dans son panthéon personnel figurent tout autant “Les ailes du Désir” de Wim Wenders que Juliette Gréco ou Sharleen Spiteri. Un cabinet de curiosité musical où se mêlent le rock, la chanson et un certain esprit irrévérencieux issu du cabaret. Dans ses chansons, on croise les mots de Barbara, dont elle s’autorise à reprendre d’une façon très personnelle Du bout des lèvres. Mon secret permet à Armelle Yons d’explorer toutes les nuances de la femme qu’elle est devenue avec le temps. À la fois, douce et sensuelle dans une simple balade en guitare-voix, puissante et chaleureuse dans les titres habillés de guitares, de basse et batterie – que la production made in La Bestiole ont enrichi d’une multitude d’instruments chauds (tuba, violoncelle, harmonica).

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