Une année sans été de Catherine Anne, mise en scène par Joël Pommerat, à Paris (critique n°2)

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Ateliers Berthier – Odéon Théâtre de l’Europe du 4 avril au 4 mai 2014

Le théâtre de Joël Pommerat est un monde à part qui chemine entre le clair et l’obscur. Un monde d’ambiguïté, de trouble, de profonde humanité où le bien et le mal se masquent, se mélangent l’un derrière l’autre, l’un avec l’autre.

Un monde sans fard lorsqu’il s’attaque au conte en revisitant de sa magie noire Pinocchio, Le Petit Chaperon rouge ou Cendrillon. Un monde désabusé, d’illusions perdues traduisant parfaitement les angoisses de notre époque lorsqu’il narre le capitalisme dans Les Marchands ou La grande et fabuleuse histoire du commerce. Chacune de ses oeuvres est d’une inventivité plastique et théâtrale rare où Pommerat s’affirme comme l’un des auteurs-metteurs en scène majeur de cette dernière décennie.

[pull_quote_left]La mise en scène de Joël Pommerat s’approprie à merveille à l’univers poétique de l’auteure où la parole est au centre de tout avec sa puissance et sa part d’ombre « Jamais en mai je n’ai senti encore le monde chanter aussi plein »[/pull_quote_left]

Une année sans été, première pièce publiée par Catherine Anne en 1987, est librement inspirée de la vie et de l’oeuvre de Rainer Maria Rilke, l’auteur des Lettres à un jeune poète, et constitue une parenthèse singulière dans le parcours de la Compagnie Louis Brouillard et son fondateur, Joël Pommerat qui n’en est donc par l’auteur.

Avec ce spectacle, il aborde la question de la transmission, entre son équipe habituelle et de jeunes interprètes à travers un texte de jeunesse en miroir qui traite de la condition d’artiste : qu’est-ce qu’être un artiste ? qu’est-ce que faire l’artiste ? où s’entremêlent des considérations existentielles.

L’action se situe au début du siècle dernier et raconte l’entrée dans l’âge adulte de cinq jeunes gens avec son cortège de questionnements : le bousculement des repères, l’enchevêtrement des désirs et des peurs, la révolte contre l’ordre établi, la tension entre le rêve et le réel. S’y mêlent le désir d’écriture d’un des protagonistes et la nécessité d’émancipation du groupe confronté à ses propres tourments.
Ils vont se croiser, se lier d’amitié, tomber amoureux, partir, revenir. Se chercher en se confrontant à soi, à l’autre, se fuir ici, là-bas, fragiles et, pour la plupart, purs, à la fois prêts à s’envoler et se retenir tout à la fois.

Au dehors, on l’apprend à la fin de pièce, se prépare une autre rupture. La perspective de la Première Guerre mondiale, à peine évoquée, elle imprègne à cette recherche éperdue une urgence encore plus prégnante, émouvante et définitive : cette transition, on la devine, se terminera brutalement.

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La mise en scène de Joël Pommerat s’approprie à merveille l’univers poétique de l’auteure où la parole est au centre de tout avec sa puissance et sa part d’ombre « Jamais en mai je n’ai senti encore le monde chanter aussi plein ».

En maître incontesté du plateau : dépouillé, utilisation de la lumière (Eric Soyer), quasi- absence de couleurs (des contrastes), mise en valeur du corps du comédien dans l’espace scénique, utilisation du fonds de scène comme unique décor stylisé, illustration sonore, Pommerat donne corps à cet apprentissage vers un ailleurs. Où le possible tangible mais indéfini des personnages se charge de mystère, de non-dits et d’introspection.

Les comédiens Carole Labouze Franck LaisnéLaure LefortRodolphe MartinGarance Rivoal  sont d’une parfaite justesse pour habiter de leur jeunesse ardente ces destins en devenir et dans un jeu subtil d’intensité, de sensibilité et d’immédiateté.

Un texte d’initiation, tour à tour noir et léger, sentimental et cruel, toujours vivant…

Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.

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