« Mangez-le si vous voulez » de Jean Teulé, mis en scène par Clotilde Morgiève & Jean-Christophe Dollé, à Paris

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Théâtre Tristan Bernard jusqu’au 29 mars 2014
64 rue du Rocher – 75008 Paris

Dans son livre « Mangez-le si vous voulez » (Editions Julliard, 2009), Jean Teulé retrace, avec l’humour noir et l’esprit foutraque qu’on lui connait, un événement sordide et méconnu, datant de 1870, qui constitue l’un des faits divers les plus troublants de l’Histoire de France.

[pull_quote_left]Drame de la condition humaine et de sa folie ordinaire dont les périodes de crises ressuscite la bête immonde[/pull_quote_left]

Sur un malentendu, un jeune homme est livré à la vindicte populaire et se retrouve lynché, brûlé vif et même mangé ou comment la barbarie à visage humain sous l’emprise d’une hystérie collective se met en branle. L’adaptation théâtrale de Clotilde Morgiève & Jean-Christophe Dollé, risquée mais réussie, décortique cette mise à mort, à mal de la déraison en un conte électro-rock culinaire aussi copieux qu’énergique où la dérision assumée en assure la distance nécessaire tout en soulignant son universalité.

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Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune Périgourdin intelligent et aimable, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin. Il arrive à destination à quatorze heures.  Deux heures plus tard, la foule devenue incontrôlable n’en aura fait qu’une bouchée après l’avoir patiemment torturé.  Au prétexte d’une phrase mal interprétée et d’une accusation d’espionnage totalement infondée, un village tout entier représentatif de toutes les lâchetés et de toutes les frustrations va faire d’un homme un bouc émissaire et une proie expiatoire, sacrifiée sur l’autel du phénomène de masse.

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Dans un décor de cuisine métaphorique, la ménagère (Clotilde Morgiève), parfaite observatrice, est en permanence sur scène, cuillère en bois à la main et casseroles sur le feu, initiatrice silencieuse et donc complice de la recette qui se joue sous nos yeux. Figure maternelle conformiste par excellence elle deviendra successivement amante protectrice puis monstre cruel, cuisinant avec délectation les restes du supplicié. Tandis que Jean-Christophe Dollé endosse tous les autres rôles : le narrateur, la victime, ses bourreaux avec une aisance remarquable et une grande homogénéité grâce à une voix et une gestuelle qui se métamorphosent pour caractériser chacun des personnages.

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[pull_quote_center]L’adaptation théâtrale de Clotilde Morgiève & Jean-Christophe Dollé risquée mais réussie, décortique cette mise à mort, à mal de la déraison en un conte électro-rock culinaire aussi copieux qu’énergique[/pull_quote_center]

La musique (Laurent Guillet et Mehdi Bourayou), omniprésente, fait partie intégrante du spectacle dont elle incarne à la fois la violence et la résonance du déchainement meurtrier. Les sons de batterie deviennent des coups de poings et inversement les coups se font musicaux. Puis tout devient instrumental à l’instar du ronflement d’un robot ménager, d’un bruit de déglutition, d’un fracas d’une boîte d’œufs ou encore d’une porte de placard qui claque.

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C’est cruel mais aussi poétique et obsédant où s’interroge sans relâche la part d’ombre qui coexiste dans chaque homme, porté  par une mise en scène aussi habile qu’inattendue.

Drame de la condition humaine et de sa folie ordinaire dont les périodes de crises ressuscitent la bête immonde…

Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.

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